Si tu disparais*,
fais le bien.
Par Enthea
Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.
Chaque mois dans sa chronique La Dialectique du Pet de Rupture, Enthea vous parle de relations, et des enjeux de pouvoir qui les entourent. Aujourd’hui, elle évoque le piétinement des ruptures qui n’en sont pas et pose une question essentielle : faut-il penser l’après avant ?

Et si tu me pètes dessus pour rompre, ouvre la fenêtre en partant. Merci.
Tout détruire avant de partir, claquer la porte, déféquer sur le paillasson, ne même pas dire au revoir. Pour continuer à stalker des stories. De loin. En silence -ou presque.
Ou bien laisser à l’Autre toujours en amour, la charge d’écoper le fond du navire qui prend l’eau, pendant que l’on apprête son propre canot de sauvetage. Larguer les amarres et prendre le large, bye-bye, ça ne me concerne plus.
Sinon, disparaître d’un coup, parce qu’après tout, on ne s’est rien promis, n’est-ce pas ?
Autant de manières de briser un lien dont l’invisibilité est souvent considéré comme de l’insignifiance. Parce que, c’est quand même plus reposant que de prendre ses responsabilités.
Que reste-t-il de tangible de la relation, si l’une des deux personnes n’est plus là ? Et puisque la souffrance est une affaire personnelle, celle d’une rupture ressemble à un théâtre vide, où l’on rejoue la scène en boucle pour nous même, dans le noir et le silence de la salle, jusqu’à lassitude. Jusqu’à la guérison ?
Qu’est-ce qui explique ce besoin de laisser un champ de ruine derrière soi, pour acter la fin d’une aventure ?
Je n’ai pas la réponse, mais je me demande si une partie de ce saccage ne tient pas à la simplicité et à l’efficacité de détruire ou de nier l’existence d’une relation, pour gérer le passage compliqué du changement. En évitant le terrain glissant des explications.
Combien sommes nous, à ne pas avoir eu le droit à une rupture décente, pour laquelle une discussion honnête aurait facilité et accéléré la rémission ?
Il y a parfois juste le plaisir de laisser l’Autre galérer, on le sait, on vous voit. Il y a l’ego si satisfait de s’éloigner en se sachant encore désiré, plutôt que d’offrir à la personne avec qui l’on a partagé des moments de vie intimes, la possibilité de tourner la page.
Et c’est un gros problème, de mélanger à ce point l’amour et le respect. Bien sûr, c’est fini, il n’est plus question de relancer une histoire romantique.
Mais… Quid du respect ? Ce qui me peine -au travers de mes histoires personnelles mais aussi de celles que j’entends des personnes que j’aime- c’est la manière dont d’un coup, tout devient violent. Et loin de toute empathie, de toute honnêteté, et de tout désir d’être prévenant envers la personne qui a été importante pour nous.
Il est désormais l’heure d’être traité·e en tant que futur·e ex.
Non pas l’ex avec qui on aime bien entretenir ces petits rapports ambigus globalement malsains et que l’on s’amuse à croiser à quelques soirées. Mais d’être cette personne, en tant qu’ex-in progress, qui ne suscite plus l’amour, mais ne mérite pas non plus d’être traitée comme une amie. (enfin t’as compris…. Parce que si on doit parler des amitiés-lot-de-consolation et des ex, on va sur un autre terrain, et ça fera un autre article)
Il y a mille manières de blesser sans le vouloir, mille raisons pour que les situations soient compliquées et fatiguantes. Mais ne pas prendre sa part (réelle –On te voit, à essayer de trouver des prétextes nuls, et des justifications fumeuses) de responsabilités pour gérer la rupture (hors du cadre de haute trahison, et bien évidemment de violences physiques ou psychiques), c’est aussi s’octroyer un pouvoir sur l’autre personne. Par exemple, le pouvoir de la laisser devenir le personnage principal de scenarii dramatiques dans lesquels elle est la personne la plus détestable de la terre qui ne méritera jamais d’être aimée.
Alors, même si on aime le déni, et que c’est cool de se dire que rompre n’arrivera pas… Au cas où -mais juste au cas où, hein- est-ce que ça ne vaudrait pas la peine de se demander comment on aimerait rompre ? Comment on aimerait qu’on le fasse avec nous ?
Est-ce qu’un jour dans les applications de rencontres, au lieu de répondre à « Plutôt bière ou vin ? », on entamera la conversation par «En rupture, plutôt assiettes cassées, ghosting, ou discussion sur le canapé ? »
En attendant, des livres qui font du bien sur le sujet :
Aloÿse Mendoza – Ruptures
Anaïs les Fleurs – Fragments
*Disparaître est un podcast produit par Motus & langue pendue sur le sujet : Elle tombe, elle tombe, elle tombe. Amoureuse, évidemment.Mais dans l’amour, il y a les disparitions. Celles qu’on subit, celles qu’on s’autorise, celles dont on est témoins, victimes, complices. Disparaître raconte leur histoire, l’avant, l’après, le vide.Disparaître est une cicatrice. Celle d’une histoire d’amour, parmi toutes celles qui naissent sous les auspices de notre bon vieux XXIème siècle..