Par Alice Fournet
Les gentil·les sont les malmené·es de notre temps. La bienveillance que l’on prône à tout va ne semble pas avoir de prise sur une époque cruelle et une actualité plus violente que jamais. Mais qu’est-ce que ça veut dire, vraiment, la gentillesse? Sommes-nous obligé·es d’être désillusionné·es quand on fait partie de ces êtres plus doux, plus calmes? Petit tour d’horizon avec notre plume du jour, Alice F.

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Au cours des siècles et des représentations culturelles et sociales, la gentillesse est malmenée. Elle passe de signe de noblesse ultime, de la qualité la plus recherchée à l’incarnation de la naïveté, du renoncement ou même de la lâcheté.
Lâches ? Vraiment vous nous croyez lâches ?
Mes amis.es me disent régulièrement que je suis gentille. Et vous savez quoi ? Venant d’eux, je sais que c’est un compliment. Non non je ne me prends pas pour l’Abbé Pierre, loin de là, mais foncièrement, oui, je suis gentille. Pourtant, cette qualité est bien incomprise dans notre monde, voire même pointée du doigt.
Alors voilà, je me suis dit qu’il était peut-être temps pour moi d’essayer de comprendre pour quelle raison cette qualité que mes proches apprécient est autant malmenée.
Donc, en tant que bonne première de la classe je suis forcément allée voir la définition que notre cher Larousse lui donne : “Aimable, complaisant, plein de bons sentiments à l’égard d’autrui ; qui manifeste ce caractère ; délicat” ou bien encore “ Se dit d’un enfant qui se conduit bien, qui est sage ; tranquille”
La définition de nos jours va dans le sens de ce que j’évoquais précédemment, finalement être gentil·le ce serait se ranger derrière l’avis des autres, être complaisant.e, sage ou même tranquille. Pire encore, on parle d’enfant, la notion de gentillesse ne semble pas appropriée pour un adulte.
Alors je suis allée chercher plus loin, je m’entête me direz-vous !
C’était quoi être gentil à l’origine ?
Au début du XIIe siècle on parlait de gentillesse pour qualifier la noblesse : celle qui vient du statut social mais également celle qui parle des actes. Un acte de noblesse est celui qui “élève l’humanité au-dessus d’elle-même” comme l’écrit très justement Emmanuel Jaffelin dans son ouvrage Petit éloge de la gentillesse.
Ce que je comprends ici, c’est qu’être gentil·le c’est donc vouloir le bien, agir pour le bien sans causer de mal à autrui.
En sachant tout cela, peut-on dire que la gentillesse a disparu ?
Il semblerait qu’en devenant de plus en plus individualiste notre société lui a préféré le pouvoir qui est bien plus caractère de réussite.
Être gentil·le c’est juste faire profil bas et ne pas parler c’est ça ? Se ranger derrière la grande majorité ?
En même temps c’est pas totalement faux. Si je prends (encore une fois) mon cas personnel, j’ai souvent peur d’être celle qui va mettre en avant ses idées. Loin d’être timide ou mal à l’aise à l’oral, j’ai quand même fait de la communication mon métier, je préfère ne pas faire de vagues. Et pourtant moi j’y crois à la gentillesse, je crois du plus profond de mon être que c’est en exprimant les choses sans prendre celui d’en face pour un abruti que l’on peut avancer.
Mais alors quoi ? On ne peut plus être gentil.lle? Pourquoi doit-on continuer à préférer la violence et la méchanceté à la gentillesse ?
Parce qu’aujourd’hui pour faire entendre ses idées dans notre société c’est à celui qui s’exprime le plus fort, celui qui parle le plus, celui qui va écraser l’autre pour prouver qu’il a raison.
Prenons un exemple qui me tient particulièrement à cœur : les militants écolos et leurs actions qui vont dans le sens du bien commun.
Ici, avec cet exemple je vous parle d’engagement, et principalement d’engagement pour le vivant. Via des actions qui se veulent fédératrices. Celles où l’on souhaite expliquer les choses, où l’on s’entoure de personnes compétentes, des scientifiques en l’occurrence, pour s’assurer que toustes puissent prendre part à cette quête commune que devrait être la préservation du vivant.
En créant des pétitions, en manifestant, en proposant des alternatives aux projets décriés, en allant même jusqu’à mettre en péril sa vie comme l’ont fait dernièrement Thomas, Reva et Célik lors de leur grève de la faim et de la soif pour lutter contre le projet ecocide de la construction de l’autoroute A69.
Aujourd’hui, notre gentillesse est ironiquement au service d’un combat.
Un combat pour le vivant.
Alors quand on se bat pour être entendu, est-ce qu’on en oublie d’être gentil ? Est-ce que l’on devient des monstres de pouvoir à utiliser les mêmes méthodes que ceux contre qui l’on s’oppose ?
Je crois que le grand Albert Dupontel traite cette question avec brio dans son film Second Tour, sorti cette semaine. Il cite et s’inspire de Robert Kennedy, le frère du président assassiné : « la seule façon de renverser le système est d’appartenir au système ».
Alors en tant que gentille (auto)revendiquée, j’admire celles et ceux qui se sont mis à crier plus fort, je mets de côté ma peur de froisser et j’essaie de froisser. Je crie pour qu’on nous entende, je soutiens les actions qui sont plus que nécessaires et je cède à la colère.
Est-ce que l’on peut considérer que je ne suis plus gentille, que nous ne sommes plus gentil·les dans nos actions ?
Je ne crois pas. Quand on défend une cause au nom de la survie de toustes, on ne met pas de côté la gentillesse : on agit pour le bien commun. Même si certains oseront nous dire que nous cherchons à les priver de leurs libertés, que l’on fait du mal à la cause ou encore pire que nous sommes des écoterroristes.
“Je peux me défendre contre la méchanceté, je ne peux pas me défendre contre la gentillesse” – Francis Blanche …