Par Une Voyageuse Heureuse
Et si dans quelques années, lessivé par l’accueil touristique et les coups de butoir de la mondialisation, le monde ne soit plus qu’une grande étendue de paysages uniformes? Notre voyageuse heureuse nous raconte dans sa chronique du mois cette “aspatialité” qui gagne du terrain, de Bali à Punta Cana, en passant par une très petite île brésilienne…

En début d’année, j’étais au Brésil – waouh ça me semble déjà si loin – et j’ai visité de nombreux endroits dont une petite île dont je voudrais vous parler. Dans ce Carnet de Voyage, on met le cap sur Morro de São Paulo.
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Après avoir passé 3 semaines à Salvador, une grande ville du nord du Brésil, je sens que j’ai besoin de me ressourcer. Sous les conseils de mes ami·e·s brésilien·ne·s, je décide de me rendre à Morro de São Paulo, une petite île accessible en 3h de bateau depuis Salvador. Pour la faire courte, on m’avait vendu cette île comme un petit paradis sur Terre, entourée de nature, de magnifiques plages et où les véhicules motorisés sont interdits. Après avoir réussi tant bien que mal à ne pas vomir pendant le trajet, j’arrive enfin sur la terre promise. Première impression : c’est rempli de touristes. Deuxième impression : il y a un subway à l’entrée de la rue principale. Je commence à me poser des questions… Je parcours l’île et me rends vite à l’évidence. Il n’y a pas pire destination touristique. Je ne vois aucun local, je me demande où se trouvent les restaurants traditionnels, perdue entre pizzeria et restaurants occidentaux. Je m’y sens mal. J’arrive à rencontrer quelques locaux et des personnes qui travaillent sur place et qui me content l’histoire de l’île au fil des années.
Jusque dans les années 70, il n’y avait pas de téléphone ni de lumière électrique sur l’île. Dans les années 90, elle se modernise et se fait connaître des touristes. Les backpackers à la recherche de dépaysement visitent l’île qui devient ainsi de plus en plus connue, notamment par les Argentin·e·s qui viennent s’y installer. Ils investissent Morro de São Paulo et créent les premières maisons secondaires d’été. Victime de son succès, l’île est dénaturée : les maisons de pêcheurs se transforment en pousada (maison d’hôtes), hôtels, restaurants ou en bars. Malgré tout, lorsque l’on demande à un·e Brésilien·ne ce qu’iel pense de la destination, iels répondront à l’unanimité que c’est un endroit parfait pour passer ses vacances. Et à raison, l’île est connue pour son tourisme balnéaire. Mais j’ai décidé de ne pas m’arrêter là. Je viens du milieu touristique, et en tant que professionnelle, je voulais voir plus loin que ce que la destination laisse paraître. Derrière les belles plages et les cocktails devaient se cacher une autre histoire, une histoire culturelle et patrimoniale. Et j’avais raison.
Lorsque l’on se balade dans l’île, on découvre des lieux historiques qui semblent ignorés des touristes. J’ai également constaté un grand contraste entre les logements des locaux, dans des lieux reculés et difficiles d’accès, et les grands bâtiments touristiques qui longent les nombreuses plages de l’île. Et bien que la municipalité voit le tourisme comme un fort potentiel économique, les natifs se retrouvent sans emploi ou avec des jobs de dur labeur. Initialement, iels travaillaient dans la pêche, l’agriculture et les fruits tropicaux, mais le tourisme a désormais pris le dessus sur les activités agricoles. Les habitant·e·s sont souvent non qualifiés pour les emplois touristiques qui demandent un certain niveau intellectuel (dont la pratique de différentes langues étrangères) et deviennent tireuses de brouettes pour porter les valises des touristes, trop flemmard·e·s pour porter eux-mêmes leurs bagages. De ce surtourisme, découlent également des conséquences environnementales. Ainsi, en 2021 a été implémentée une taxe touristique de 30 reais (environ 5 euros) par personne entrant sur l’île. Cette taxe sert notamment à financer le système de collecte de déchets, qui se sont multipliés avec le nombre de touristes.
Vivre cette expérience m’a rappelé un concept que mon ancien professeur de sociologie avait évoqué en classe, le concept d’aspatialité : le fait qu’un lieu touristique soit dénué de toute histoire et semble identique à n’importe quel autre site. Et ça, ça m’a toujours froissée. Comment un lieu peut-il être semblable à un autre ? Chaque endroit possède une âme et une histoire qui lui est propre. L’aspatialité est créée de toute pièce pour répondre aux besoins humains qui, dans le tourisme, se résument à la farniente et la dolce vita. En effet, j’aurais très bien pu être en Espagne ou à Ibiza, je n’aurais très certainement pas fait la différence. Cette dénaturation me fait très mal au cœur et me rend triste. En plus d’être un désastre écologique et social, cet afflux de touristes – dont j’ai fait partie – fait disparaître les traditions et la culture si riche de cette île, autrefois préservée.
Et bien que des politiques touristiques soient mises en place, c’est notre rôle à nous, citoyen·ne·s du monde, de communiquer et de soutenir les lieux que l’on découvre et qui se voient peu à peu disparaître dans le tsunami de passagers. Morro de São Paulo m’a fait penser à de nombreux autres sites touristiques dans le monde, et particulièrement aux Calanques de Marseille. Bien que je n’y sois jamais allée, je sais que c’est un lieu qui est également victime du tourisme de masse et de ses conséquences : mégots, canettes, plastiques, pollution pétrolière des bateaux… Nous devrions chérir ses merveilles naturelles et ne pas les considérer comme une liste d’endroits à cocher sur sa liste de vacances. Et même s’il en va de la responsabilité des gouvernements de mettre en place des mesures de restriction et de protection, il est de la responsabilité des voyageur·euse·s de faire le nécessaire pour préserver ces lieux. J’ai moi-même fait des erreurs, voyager de manière la plus durable possible est difficile, mais j’espère m’améliorer.
On se retrouve le mois prochain pour parler d’altruisme…