Par Charlotte Giorgi
Pour qui prend la parole un peu fort, les critiques sont apparemment aussi inévitables qu’une ombre qui suit le discours. Constructives parfois, aux motifs douteux souvent, est-il vraiment impératif de savoir « accepter les critiques » sans conditions?

On dit souvent de moi que je suis très susceptible. Trop sensible. Peu apte à recevoir les critiques.
Et cela doit être vrai?
Pour cause : des nuits d’insomnie et d’angoisse après une remarque assassine, des larmes qui montent, un sentiment d’injustice débordant, trop grand pour ce qu’on vient de me dire. Trop grand, apparemment. La révolte est souvent autorisée, mais lorsqu’on nous maltraite pour nous faire progresser, alors tout d’un coup l’indignation doit déguerpir, ou sinon c’est un enfantillage.
La violence des critiques et mon incapacité chronique à recevoir celles-ci sans qu’elles ne me blessent, c’est le syndrome de la petite fille sage : celle qui pouvait provoquer la colère terrible et assez aléatoire de ses parents en deux minutes chrono, celle dont le futur entier dépendait du sort d’un jury auquel elle devait les bonnes réponses, celle d’un entourage très critique, pour le meilleur et pour le pire. La critique, j’ai grandi avec comme une condamnation. Comme une fin, un atterrissage forcé. De la critique pouvait dépendre mon sort. Grandie, je sais considérer des remarques, mais plus des blâmes.
Je me suis toujours demandé d’où ça venait mais surtout où ça pouvait bien me mener. Ce décalage, ce truc qui me brise quand tout le monde plébiscite les critiques constructives. Je me suis toujours dit que je passais à côté de quelque chose. Que ce qu’on me donnait pour nourrir mes projets et mon émancipation, je le rejetais comme une idiote tyrannique. J’étais peut-être même un danger pour la démocratie.
Et puis un jour, une critique vraiment constructive. Et l’envie de mieux faire. Pas de larmes qui frisent. Rien qui ne soit heurté en moi.
Et je comprends que souvent, on fait du mal en voulant faire du bien, et qu’une fois encore, l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Difficile seulement de savoir faire le tri, quand on est une toute jeune femme dans le monde des grands, qu’on peut nous adouber ou nous manger tout cru. Mais déployer son argumentation face à une remarque, hausser le ton quand les mots sont violents, fermer les écoutilles quand le mépris et le dénigrement s’en mêlent, ce n’est pas « être susceptible ». Ce n’est pas « ne pas accepter la critique ». Nous les femmes savons que trop bien nous excuser sans arrêt, douter de nos intelligences et nous ratatiner de peur de prendre trop de place. Nous les femmes savons fort bien que nos paroles dérangent, celles des jeunes encore plus. Qui sont ces gens qui pensent des choses ? Qui ont des avis ? Qui l’expriment et ne se laissent pas démonter par les remarques ? Qui tiennent leur ligne parce qu’elle est soutenue par de solides recherches et travaux ? Qui sont ces gens qui remettent en cause le culte de la critique, dans une France qui se délecte tant des ragots et des gens qu’on envoie en pâture à la méchanceté qui se déguise en professeur qui n’a que notre progression à cœur.
Parfois c’est même pire : on veut bien faire, et la critique sort trop vive de notre bouche, mesquine, jalouse, couteau dans une plaie. Et je ne nous blâme pas : personne ne nous a jamais appris à dire les choses correctement. Et je maintiens qu’il serait plus efficace et de meilleure foi d’apprendre à donner des critiques qu’à les recevoir.
Et d’ailleurs, qu’est-ce que cela peut bien faire, se mettre à pleurer ou à se démolir à la réception d’une vilaine appréciation ? Dans quel monde vit-on où l’on nous ordonne sans arrêt d’être des robots sans cœur, écrasant tout sur leur passage, mais sachant dans le même temps se remettre en cause et évoluer ? Les émotions nous sont indispensables pour faire cela. Et si dans le fond, le message est pertinent, il lui faudra du temps pour passer, mais derrière des larmes ou des agacements, il fera son bonhomme de chemin et finira par toucher. S’améliorer prend du temps, tout comme apprendre à ne pas asséner des accusations virulentes qui n’ont d’autre fond qu’une aigreur réfrénée.
Je suis certaine qu’il est possible de dire qu’un travail est absolument médiocre et vain, tout en préservant la dignité de la personne qui l’a effectué – si seulement on pouvait arrêter de vivre dans une société qui nous annone en boucle que nous sommes notre force de travail. Utiliser le je, rappeler la puissance et l’intelligence de la personne d’en face sur d’autres angles, et surtout, surtout, proposer des pistes de solutions. Rien de pire pour moi que de recevoir une critique acerbe qui n’indique aucun chemin pour suivre son intuition d’amélioration.
Bref, un petit billet inoffensif et fort critiquable, de la part d’une grande critique critiquée, qui en a assez que des petitesses amères soient travesties en « c’est pour toi que je dis ça ». Non Jean Alfred, ce n’est pas pour moi et nous le savons tous les deux. Aie au moins le courage de m’attaquer en règle, car j’ai du travail pour faire au mieux, et peu de temps à perdre avec des remarques qui ne construisent rien, saccagent tout et s’indigneront de mes colères légitimes. À bon entendeur, salut.
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