MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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Troubles amoureux, amours troubles

Des interstices – chronique 4

Par Alyss Haller

Photo de Beth Jnr sur Unsplash

Parmi les trucs difficiles à ranger dans des cases, il y a l’amour.

Mais parce qu’une histoire vaut souvent mieux qu’un discours, laisse-moi plutôt te raconter ce qui m’est arrivé il y a bientôt quatre ans, et ce que ça m’a fait comprendre.

L’été 2019 a été pour moi une période bouleversante à bien des égards. Et au rang des secousses (pour ne pas dire tsunamis) qui ont ébranlé ma vie, il y a eu celle-ci : je suis tombée amoureuse d’une fille.

Il faut préciser qu’avant ça, je n’ai eu de relations amoureuses (qu’elles soient platoniques ou non) qu’avec des hommes. Ceci dit, j’ai toujours été vaguement bisexuelle.

Vaguement a son importance, tu vas comprendre pourquoi.

Adolescente, j’embrassais mes copines sur la bouche avant même mon premier baiser avec un garçon. Plus tard, j’ai eu quelques expériences charnelles avec des femmes – là encore, souvent des amies. Le corps féminin m’a toujours paru plus beau et harmonieux que le corps masculin. Mais étrangement, tout ça ne remettait pas en question l’idée que je me faisais de mon orientation sexuelle : justement parce qu’avec les filles, ce n’était « que du sexe » – un truc un peu rock’n’roll que j’aimais bien faire lors d’une soirée arrosée, et qui entretenait l’image de meuf libre, volontiers provoc’, que j’aimais me donner à moi-même.

Ou plutôt, c’était quelque part entre le sexe et l’amitié. Une sorte de proximité « naturelle » poussée un peu plus loin qu’à l’accoutumée, avec une touche de narcissisme (j’aimais surtout les filles qui me ressemblaient). Je mets « naturelle » entre guillemets : il s’agit là d’une idée assez répandue, en particulier chez la gent masculine qui a brodé autour un certain fantasme, selon laquelle l’intimité physique entre femmes est quelque chose de somme toute assez normal, au même titre que les démonstrations d’affection (câlins et autres sensibleries). Une version acceptable de l’homosexualité – acceptable pour autant qu’elle n’exclue pas le mâle (il ne s’agirait pas de prendre du plaisir sans lui), tant qu’elle pimente son désir sans représenter une menace pour sa virilité, c’est-à-dire sa prérogative exclusive et reconnue s’agissant de satisfaire pleinement une femme (en la pénétrant, cela va sans dire).

Avais-je trop bien intégré cette règle tacite, ou était-ce simplement le hasard de n’avoir pas rencontré l’exception susceptible de la discréditer ? Toujours est-il que dans mon esprit, je ne me voyais ni développer de sentiment amoureux, ni encore moins être en couple avec une femme.

Il y a bien eu cette fille, à la fac, pour qui j’éprouvais quelque chose de très intense et de très spécial – elle a été ma première amante, j’étais aussi sa première, et c’était très beau. Mais à l’époque, je me suis dit que c’était simplement une amitié très forte. Rien de vraiment semblable aux « doux » tourments passionnels, au manque de l’autre, à l’idéalisation, à l’obsession, aux stratagèmes de séduction adossés à la crainte de ne pas plaire. Avec le recul, aujourd’hui, je me demande si ce n’était pas juste un amour sain – aux antipodes du mythe de l’amour romantique dont j’étais abondamment abreuvée, à l’instar de mes congénères. Détail qui a tout de même son importance : elle avait un copain, dont elle était très amoureuse. J’avais beau savoir déjà de mon côté qu’on peut aimer plusieurs personnes à la fois, je n’étais pas prête – et ne le suis toujours pas – à sauter le pas du polyamour : prendre soin d’une seule relation sentimentale est bien assez pour moi, et j’ai trop besoin d’équité dans ce domaine pour accepter de ne pas être la priorité d’une personne qui serait la mienne.

Bref : je n’aimais pas « vraiment » les femmes.

Je me souviens d’ailleurs de cette copine lesbienne qui me répétait, sur un ton mi-vindicatif mi-condescendant : « Toi, de toute façon, t’es une fausse ! » Je comprenais ce qu’elle voulait dire : je n’avais pas eu à me battre pour être respectée, moi ; pas à subir les mêmes discriminations, parce que j’avais le choix.

– À propos, je voudrais ici ouvrir une parenthèse : on me dit souvent, quand il est question de trouver un·e partenaire : « C’est facile pour toi : au moins, tu as du choix. » Comme si j’avais le luxe de pouvoir manger à tous les râteliers. Bah ouais, tu me mets dans un fast food dégueulasse : j’ai de la chance, jpeux tout bouffer. Entre un hot dog à la saucisse de porc piqué aux hormones bourré d’additifs, et des frites industrielles baignées d’huile au diméthylpolysiloxane et au pyrophosphate de sodium, j’ai l’embarras du choix, puisque je ne suis ni végan, ni intolérante au gluten. Pareil pour les gens, cqfd. Je ferme la parenthèse. –

Ma « déviance » sexuelle au regard de la norme, donc, n’avait rien d’une fatalité assortie d’un fardeau social que j’aurais eu à porter. C’était une sorte d’option facultative, de coquetterie, de gourmandise – une tricherie, en somme. Ce qui faisait de moi un affront aux catégories, à la majorité comme aux minorités : ni tout à fait hétéro, ni homo, ni vraie bi. Ironiquement, je me retrouvais exclue même du groupe des exclu·es.

Et puis c’est arrivé : mon premier coup de foudre avec une femme. Total et vertigineux ; impossible à nier. Rien à voir avec mes précédentes expériences érotiques : ce n’était pas son physique qui m’attirait. C’était tout. Sa voix, sa manière d’occuper l’espace, de penser, d’être au monde. Sa peau, ses gestes, sa présence, les traits de son visage, ses talents, ses failles. Tout ce qui faisait qu’elle était elle.

Alors, j’ai compris : je n’étais pas tombé amoureuse d’une femme.

J’étais tombée amoureuse d’une personne. C’est aussi simple que ça.

Qu’elle soit pourvue d’organes sexuels féminins n’avait pas plus à voir dans l’affaire que la couleur de ses cheveux ou la longueur de ses orteils. Elle aurait pu être un homme, une personne trans, de n’importe quel sexe ou de n’importe quel genre : ça n’aurait rien changé à mes sentiments, à la force de ce qui nous liait.

Et cette évidence, aussi bête que limpide, m’a fait sourire.

Je pourrais terminer en disant que j’ai découvert que je suis pansexuelle (du grec pan, qui signifie « tout »). Mais pourquoi vouloir absolument tout définir – et du même coup, recréer des catégories alors même qu’on cherche à les transcender ? Non, je n’ai aucune envie de mettre l’amour en cage – quand bien même je pourrais passer la tête entre les barreaux.