MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES

Transfuge de classe : de déclassée à reclassée ?

Par Eloan

Photo de Una Laurencic sur Pexels.com

___

___

Adolescente, j’ai commencé à devenir ce qu’on appelle une bonne élève dans un lycée pas loin d’être considéré comme une ZEP. L’ensemble des adultes de mon entourage y ont vu une opportunité pour moi, une chance. On a commencé à me parler de projections que je ne m’étais, jusqu’ici, jamais imaginées. Pas parce que cela m’était interdit mais pire encore, parce que ça ne m’avait jamais traversé l’esprit. Mes parents, à travers ce chemin à peine emprunté, vivaient par procuration la réussite que cela pouvait représenter. Ils étaient si fiers. Mes professeurs, quant à eux, se posaient en dénicheurs de potentiel, en coachs. Ils étaient si confiants. Et moi, pris dans ces méandres, je me suis autorisée à y croire. Plus que ça encore, je me suis autorisée à le vouloir. 

En grandissant, je me suis donc construite autour de ça. Autour de cette petite lumière dont il m’incombait de prendre soin. L’objectif était clair, irradier par le feu, noyer tout ce que je pouvais de mes rayons. J’en étais maintenant convaincue, je ferai de grandes choses parce que je l’avais décidé. Comme une sorte de revanche sur la vie, sur ma classe moyenne et la petite maison HLM dans laquelle j’avais grandi avec ma famille, j’allais déjouer le déterminisme et casser la roue de la reproduction sociale. Prends ça Bourdieu !*

Maintenant adulte, j’ai compris que d’une certaine manière, j’avais réussi à prendre l’ascenseur de la hiérarchie sociale. Imaginez La Défense et sa forêt faite de verre et d’acier. Moi, ça me donne le tournis à chaque fois que j’y suis, j’adore cet endroit autant que je le déteste. On se sent petit et informe, pris dans une masse grise et morose. Mais en haut, tout en haut, la lumière y est belle comme nulle part ailleurs. Je m’y suis rêvée nombre de fois. J’ai un bon moment pensé, à tort, que je n’avais qu’à appuyer sur ce fichu bouton et monter dans la cage de fer, d’en sortir, et que le tour était joué. Que je n’aurais qu’à partir à la conquête de cet étage nouvellement débloqué. D’où je viens, il faut avoir la dalle, c’est ce qu’on nous dit : “il faut mériter son bout de pain”. J’ai trimé pour monter, je peux vous le dire. Je m’attendais à pouvoir manger la baguette entière après l’effort d’avoir gravi, plus vite que les gens autour de moi, ce qui m’a semblé être l’Everest. Je ne vous raconte pas la désillusion quand j’ai compris que je ne sortirai jamais vraiment de l’ascenseur, qu’il allait devenir ma maison. Je ne vous raconte pas le désarroi quand j’ai compris que ma faim ne serait jamais comblée : peu importe où je finirai par me trouver, le système continuera à me trouer l’estomac. C’est ce qui attend les gens comme moi. 

Les gens comme moi ? Des “transclasses”, des “transfuges”, des fuyards, des reclassés. Attendez, avant de décortiquer les gros mots de ce billet, revenons un peu arrière, il est important de préciser que ma trajectoire n’est pas le fruit d’une cause unique mais la résultante d’une multitude de portes prises, dès fois non sans mal, des rencontres plus ou moins fortuites et de tout ce que les autres ont bien voulu me transmettre, me donner à vivre ; que ce transit d’une classe sociale à une autre a été rendu possible grâce à ma facilité à entrer dans le moule. Mon moule à moi ça a été l’école, comme je vous l’ai dit plus haut. Mais peu importe, toute cette expérience n’est qu’un processus de passage. Je vis dans un entre-deux constant, prise en étau entre d’où je viens et là où on ne voudra jamais de moi. Il faut voir ça comme un concept d’identité. Je déconstruis et reconstruis mes codes, mes envies, mes priorités, mes goûts et toutes les petites choses qui finissent par me définir. Je suis un caméléon, je joue le jeu des aller-retours. Avec Pierre, on parle de notre dernière trouvaille sur Arte, je butte sur le nom du réalisateur parce qu’après tout, avant ça je ne le connaissais même pas. J’ai honte et je m’efface de la conversation, persuadée de n’avoir rien d’autre d’intéressant à dire. Avec Paul, on évoque le premier album d’un artiste qu’il adore et je souris bêtement en remarquant que mes playlists Spotify ne ressemblent plus vraiment aux siennes. Je réalise que les B.O de nos vies ne sont plus au même tempo. Avec Jacques, cette fois-ci je prends les devants et je lui conseille une super pièce vue récemment. Il balaye l’idée d’aller la voir d’un revers de manche et moi avec. Pour être honnête, je prends conscience que je m’essouffle. Au final, malgré les détours et les pas de côtés, je n’arrive plus vraiment à trouver la place qui est la mienne. Trop, des fois, puis pas assez souvent. D’un côté, on me jette la pierre d’aimer des trucs compliqués, qui font réfléchir et pleurer, en me répétant que je suis devenue chiante. Traduction : j’ai enrichi mon capital culturel et même si moi je suis fan, les films d’auteur et les podcasts de société ce n’est pas vraiment le top 1 du divertissement pour tout le monde. Et de l’autre côté, je finis souvent – pour pas dire toujours – par me sentir bien différente de ceux qui, il n’y a pas si longtemps que ça, ne me donnaient même pas l’heure. Bête et méchante, parce que mes racines me trahiront toujours.

J’ai sciemment utilisé le mot transfuge pour aborder l’idée de fuite, aussi pour mettre en lumière qu’une infime partie de moi, peut-être la plus condescendante, voulait, désirait, hurlait sans cesse tout au fond qu’il m’était impossible de finir dans une banlieue où toutes les petites maisons se ressemblent. Je suis tout ce que les miens ne seront sûrement jamais. Je suis celle sur qui on a toujours misé pour aller plus haut, plus loin. Et implicitement, j’ai compris que je devais appliquer le “quoi qu’il en coûte” pour être mobile socialement. Alors, je dois faire ce que je peux avec cet énorme sac de nœuds, qui va des textes de rap que je connais sur le bout des doigts à mon amour inconditionnel pour les tableaux de la renaissance italienne. J’adore ça moi, la nuance et les contradictions. 

N’en déplaise à certains, je ne serai jamais le cheval de guerre des fervents défenseurs de la méritocratie. Le mérite, comme bon nombre de choses, est une construction politique. Faire croire à qui veut l’entendre que le travail acharné est la clé pour gravir tous les échelons sociaux et « réussir » constitue une stratégie efficace pour légitimer une société où certains dominent les autres. Et le plus drôle dans tout ça, c’est que les miens préfèrent se prélasser dans cette douce fable de la méritocratie pour éviter de mettre le nez dans leur propre condition d’asservissement.

J’ai compris que malgré mon cerveau pas trop mal fait et un boulot bien payé, je ne tarderai pas à me prendre le plafond de verre en pleine face. Je ne boirai sûrement jamais mon café du matin au sommet d’une des tours de La Défense. J’ai fait le deuil de ça, je finirai par m’accommoder à mon entre-deux, consciente d’être écrasée par les rapports de force, joueuse malgré moi de la lutte des classes.

__

*(bon en vrai, pour ne pas donner de grain à moudre aux droitards, on rajoute ici qu’en réalité, Bourdieu serait probablement très d’accord avec ce billet puisqu’il ne dit pas autre chose, mais bref)

Jours
Heures
Minutes
Secondes

LES ÉTATS GÉNÉRAUX DU SEUM : RDV LE 10 SEPTEMBRE À PARIS !

📆 RÉSERVEZ VOTRE SOIRÉE ! 

Mercredi 10 septembre 2025 de 18h30 à 1h au Point Ephémère à Paris, on vous invite aux Etats Généraux du Seum 🪩

Au programme : apéro, stands militants, talk politique & DJ sets!

On vous reveal le line up à la fin de l’été ! Bloquez la date ;)