Par Rose
S’il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas, en particulier sur ce média où l’on revendique le fait de n’être surtout pas des “experts”, en général, on est plutôt convaincu·es de ce que l’on est. L’identité, c’est censé être un socle assez solide pour avoir des certitudes, a priori. Sauf que Rose se rend compte que finalement, elle aime bien la ville d’Angers, et que ça, ça met sa quête identitaire en PLS.
« Elle était venue faire savoir à toutes les femmes présentes 1) qu’elle aimait transpirer, 2) qu’elle adorait les orgueilleux, 3) qu’elle méprisait les modestes, 4) qu’elle raffolait des douches froides, 5) qu’elle détestait les douches chaudes. En cinq traits elle avait dessiné son autoportrait, en cinq points elle avait défini son moi et l’avait offert à tout le monde. »
Comme cette inconnue dans L’immortalité de Kundera, longtemps je me suis accrochée à des certitudes sur mon moi. Elles étaient un rocher dans l’océan de l’existence, un lieu sûr et immuable. Mon refuge identitaire. Et si j’en parle au passé, c’est parce qu’il semblerait que le rocher ait disparu sous les eaux. La surprise est à la hauteur du choc. Je savais que le changement était un intangible de la vie. Mais jamais je n’ai pensé que mon identité en ferait partie. Mon identité, c’était du solide.
À priori.
Je suis née en faisant sauter les plombs de l’hôpital et avec une tonne de certitudes. Le saucisson, c’était oui. Tout ce qui ressemblait à une courge, c’était non. La neige, c’était oui, le vent c’était non. Ouvrir les yeux sous l’eau c’était oui, manger les yeux fermés c’était non. Téter le sein gauche c’était oui, téter le sein droit, c’était non. Allez dormir, ça, c’est toujours non.
Vouloir, oui. Subir, non. Depuis bébé. Des limites franches, un cap clair. Des frontières très nettes à ce que j’estimais dessiner mon identité. Dis-moi ce que tu désires, je te dirai qui tu es.
Avant je n’aimais pas les petits chiens, le vin blanc ou les villes de province.
Maintenant je rêve en secret d’un lévrier italien, je commande régulièrement un verre de chardonnay et je ne suis plus du tout aussi fermée à l’idée de vivre à Angers. Parce que c’est beau et calme, Angers.
Et si toutes ces infimes choses n’ont vraiment que peu d’importance, je me suis surprise à répéter cette dernière année « je ne sais plus qui je suis ». Précisément parce que je pensais que toutes ces choses me définissaient. Et avec elles, mon rapport au monde. Et avec lui, le monde tout entier.
Avant je savais très clairement ce que je voulais.
Maintenant, souvent, je réponds que je ne sais pas.
Avant le monde était limpide et bien rangé.
Maintenant il est aussi chaotique qu’immense.
Vous aussi vous avez l’impression qu’on vous a menti ? Quand vous entendez vos aînés raconter que plus on grandit, plus on sait ce qu’on veut ? Quand le développement personnel aime à répéter que la connaissance de soi est le chemin de l’épanouissement ? Moi, plus je vieillis, plus mes auto-vérités s’effondrent.
Et je crois que c’est parce que l’identité n’est ni un absolu, ni une immuable vérité. L’identité est, à l’image du vivant, de nos amours et de nos désirs, un flux incessant. Plus le monde nous secoue, plus nos certitudes semblent fragiles, plus notre horizon s’élargit. Et quand l’âge nous sclérose et nous rétrécit, ce n’est pas parce que vieillir ça rend con et que c’est une fatalité. Non. C’est sûrement parce qu’on continue de croire qu’on est ce qu’on aime et ce qui nous effraie. Et on reste accrochés à notre rocher. Si l’identité est un flux, alors qu’est-ce qu’on contrôle ? Et si on ne contrôle même plus ce qu’on aime, alors qu’est-ce qu’il nous reste ? Au lieu de plonger, beaucoup s’agrippent. Mais moi j’ai l’impression qu’il faut plonger pour vieillir. Dans le chardonnay, avec des petits chiens ou à la Rochelle. Justement parce que nous sommes vivants.
Et dans ce monde qui se polarise, où chacun s’évertue à crier ce qu’il est, est-ce qu’on ne devrait pas délaisser nos rochers ? Se battre pour nos convictions, toujours. Se battre pour le mieux. Encore. Mais ne pas le faire au nom de nos croyances identitaires qui finissent souvent par nous trahir et qui, continuellement, nous rétrécissent.
Ne serait-il pas temps d’arrêter de se définir par des absolus ? Et de commencer à s’échapper de nous-mêmes ? Évoluer en dehors ? Abolir nos frontières, goûter autrement, apprendre à se mouvoir. Faire comme les châtaigniers centenaires qui changent de paraître à chaque saison et les oiseaux migrateurs qui habitent le ciel entre deux terres.
On a le droit de s’inscrire en faux de soi-même, de se donner la réplique, d’épouser le virage. Et peut-être même que c’est devenu un devoir. Lutter contre l’immobilisme de nos pensées et contre la paralysie de nos auto-persuasions. Parce qu’au final, le rocher ressemble davantage à une planque qui comble notre manque d’imagination qu’à un refuge apaisant. Prenons plaisir à se découvrir et à espérer se rencontrer demain. Mettons la curiosité au service de nous-mêmes. Ouvrons grand les vannes. Nous sommes mille, pluriel.le.s, et changeant.e.s.
Avant c’était, bonjour, moi c’est Rose, je déteste prendre ma douche et couper du pain.
Maintenant c’est, bonjour, moi c’est Rose, je me suis lavée les cheveux ce matin.
À l’eau de mer.
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