MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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Dahomey : est-ce-qu’un film doit nous parler ?

Par Alexandre Ruffier

Photo : Les Films du Losange

Après Kaizen, j’aimerais également commencer ce texte par une drôle d’idée. Celle que j’ai eu en regardant Dahomey, dernier long-métrage de la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop, Ours d’Or au festival de Berlin : ce film m’est-il destiné ? En d’autres termes, est-ce que ce documentaire, distribué mondialement, que je regarde, au milieu d’autres, dans une salle de mon quartier, a été créé dans ma direction ? Moi petit blanc. Je vous l’ai dit, une drôle d’idée. Il convient déjà dans un premier temps d’identifier où prend source cette pensée intrusive. S’il peut-être devenu un cliché militant de le dire, je suis un homme cis-blanc hétéro. Un cliché car cela ne dit pas tout et ne fait pas tout. In fine, on fait avec notre corps et ses contingences. Et donc en ma qualité d’homme blanc cis-hetero je suis le sujet universel auquel le monde entier doit s’adresser. Je suis celui que dieu a créé et dont sort de moi, de ma côte, la femme blanche cis-hétéro, sûrement elle aussi universelle. Ce réflexe que j’ai eu devant le film est primitif. Dahomey a osé me décentrer, me considérer comme un sujet secondaire de l’histoire, et quelque part, dans mon corps reptilien cela m’est suffisamment insupportable pour que cette sensation remonte jusqu’à mon esprit, traverse d’autres états mentaux et aboutisse sous la forme d’une question : ce film m’est-il adressé ?

Car si l’on ne peut glisser sous le tapis ce qui a créé en moi cette question, s’y abandonner entièrement ne serait pas non plus très pertinent. Si elle m’est propre, à moi et mon corps social, elle est aussi le résultat d’une excitation externe : Dahomey. Car si le film m’a décentré ce n’est pas parce qu’il ne parle pas de moi, petit blanc. Dahomey, il est indéniable, me concerne en tant qu’entité sociale. Car je n’ai pas encore précisé son sujet. Le film documente le rapatriement de 26 œuvres, sur plusieurs milliers, pillées par la France au royaume de Dahomey dans l’actuel Bénin. C’est la première fois qu’un pays d’Afrique subsaharienne obtient une telle restitution. Un fait si nécessaire mais imprévisible, car longtemps refusé par les gouvernements français successifs, que le projet Dahomey commença, pour Mati Diop, il y a plusieurs années, comme un scénario de science fiction. Rattrapé par le réel, celui-ci devint documentaire. 

Le film me concerne car la “restitution” qu’il documente est le résultat d’un rapport de force. Une puissance coloniale a volé des œuvres, souvent par effraction, et les a fait siennes en les intégrant à son patrimoine culturel, inaliénable d’autant plus, lorsqu’il s’agit de la France. Une puissance colonisée veut les récupérer. Le premier refuse jusqu’à accepter. Cependant de cette prémisse, le film m’absente presque immédiatement, moi le petit blanc. Car la matérialité de ce rapport de force, (les déclarations, échange de lettres et autre événement protocolaire) le film l’éclipse. Lorsque Dahomey commence, les œuvres sont mises en caisse afin de retourner sur le territoire qui les a vu naître. Leur rapatriement est un fait que l’on a pas besoin de questionner. 

Mati Diop organise une série de pas de côté par rapport à son sujet. Le premier commun à, (presque), toutes ses productions est celui de se déplacer physiquement hors de l’occident. Elle doit se débrancher de son territoire social pour commencer à filmer. Une nécessité charnelle qu’elle incarne littéralement dans son film par les statues. Elle les fait parler (en Fon, une des langues du Bénin) et nous met à leur place par des plans subjectifs. Au début plongé dans le noir, du fait de leur incarcération parisienne, elles recouvriront la vue une fois arrivées à Cotonou. Esthétiquement ce déplacement se traduit par une “spectrification” de l’occident. Ainsi disposé à la marge il apparaît comme un fantôme. À la fois toujours un peu absent mais continuant tout de même à hanter les plans. 

Le deuxième pas de côté qu’effectue Mati Diop est celui de séparer la “restitution” du “rapatriement”. Elle disjoncte ainsi le geste colonial de l’occident de considérer que c’est lui qui restitue. Non, il ne fait que déplacer des œuvres qu’il a déraciné, tentant vainement de combler un trou qu’il a lui-même creusé dans la culture du peuple à qui elles appartenaient. Considérée de cette façon, la restitution ne peut commencer qu’au moment où l’œuvre arrive sur le territoire et que par des actes sociaux, culturels, artistiques, politiques, les populations se réapproprient les œuvres. Dahomey fait partie de cette dynamique. Un des principaux axes du film est ainsi de montrer que l’acte que l’on appelle couramment “restitution” ne porte pas en lui d’essence décoloniale. Au contraire même, il peut être une façon de reconduire la dynamique coloniale en soumettant une nouvelle fois le pays pillé aux lois de l’occident. Car il existe une façon, dans ce cas français, d’appréhender l’art, de le considérer, de l’exposer et de le consommer. Cette façon est cristallisée dans l’institution du musée, dont l’occident se sert pour argumenter contre les “restitutions”. Lorsqu’un pays, comme le Bénin, demande, dans l’impossibilité d’exiger, un retour des œuvres, l’occident lui exige, à défaut de se taire, des gages quant à la qualité de l’accueil qu’il leur sera réservé. Des gages établis selon les critères occidentaux. Et le film montre bien la perversité de cet acte de restitution. Il précise tout d’abord, par des propos de citoyens béninois, qu’il n’est pas un acte charitable de la part de Macron mais un calcul géopolitique pour regagner la confiance des pays Africain. Mais ce recul n’est pas universel et la réalisatrice le montre en filmant un officiel qui ouvrant l’exposition dit qu’il espère montrer à l’occident qu’ils sont capables de bien traiter leurs œuvres dans l’espoir de toutes les récupérer. Il faut apaiser le fantôme. 

À cela, Mati Diop répond en filmant un débat, qu’elle a elle-même organisé, dans lequel des béninois discutent du rapatriement. Encore un pas chassé. Elle montre ainsi l’effervescence politique, philosophique et sociale que crée le retour des statues. C’est-à-dire le réel processus de restitution. Celui-ci ne peut commencer que lorsqu’une personne se lève et dit “ces trucs, j’appelle ça des trucs, car pour moi ils n’ont pas d’importance”, qu’une autre dit “j’ai pleuré pendant quinze minute lorsque j’ai appris la nouvelle, qu’elle revenait”, qu’un autre encore dit que, “vingt-six, ce n’est rien par rapport au millier qui dorment encore”, tandis qu’une autre pense que c’est un début. Le film ne les contredira pas, ne nous dira jamais qui a raison, ou tort. 

Alors finalement ce film m’est-il destiné ? Evidemment que oui, c’était presque une question rhétorique. Cette sensation de décentrement que j’ai ressentie, il faut la questionner pour soi, la comprendre et en tirer quelque chose quant à nos inconscients racistes. Mais le fait même que je me la soit posée est la marque d’une grande réussite du film. A ce titre je considère moins Dahomey comme un acte militant que politique. Plus qu’un ensemble de réponses et de directions quant à la façon d’organiser les restitutions, il offre des questions et un espace pour se les poser. La restitution est présentée comme un sujet mouvant et qui doit être saisi par les citoyens concernés, tout autant que par nous, petit blanc, afin de comprendre ce qu’il s’y joue. Non pas, comme le disait sarcastiquement Bo Burnham dans How the world works, en guise de développement personnel pour devenir une “meilleure personne” mais pour remettre en cause profondément les structures coloniales qui agissent au fond de nous. 

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