MÉDIA ENGAGÉ SUR LES ONDES
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Comment mes agressions ont contribué à me radicaliser

Par Ludi

Chère fémonationaliste1

Je t’écris aujourd’hui sans te donner de prénom, pour que toute personne partageant tes idées, ton militantisme, ta conception du féminisme puisse se sentir concernée par ce que je vais dire. Vois-tu chère fémonationaliste, il y a un truc qui m’énerve profondément dans ton discours. Pas qu’un seul d’ailleurs, mais je veux être bref·êve. Dans ton appropriation de notre lutte, tu t’empares du harcèlement de rue afin de servir ton agenda raciste. Tu syllogismes d’ailleurs, c’est pas beau, en disant que le harcèlement, c’est les étrangers, que les étrangers, c’est le sexisme, que sortir les étrangers, c’est casser le sexiste. Si c’était pas aussi affligeant, je trouverais ça drôle. 

Il se trouve que j’ai subi deux agressions dans la rue, l’année de mes dix-huit ans. Une fois touchée, une fois frappée. Par deux inconnus. Deux cas d’école qui m’embêtent un peu parce qu’ils viendront exacerber ton idée du type de sexisme à combattre. Alors que les violences dans la rue, c’est pas celles qui sont les plus commises contre les femmes2. Après, j’ai aussi été violé·e dans un lit, par une personne que je connaissais. J’imagine que ça rééquilibre le truc. L’autre jour, j’ai vu passer une vidéo de Tibo InShape. Il y racontait qu’il avait été agressé dans la rue et que ça l’avait convaincu de l’utilité de l’appareil répressif, autoritaire, qu’est la police. En gros, ça l’a droitisé. C’est pas le seul. C’est marrant parce moi, c’est tout l’inverse. Ça m’a radicalisé de gauche. Je vais t’expliquer pourquoi et en profiter pour remettre les points sur les i. C’est-à-dire démonter tes maigres arguments : 

Mes agresseurs étaient blancs. Pas de bol hein. Blancs de chez blancs. Pour te concéder un moindre détail, j’ai été harcelé·e par tout le monde dans la rue. Blancs comme noirs. Je sais pas où tu es allée chercher tes statistiques mais il faudrait sans doute les réviser. Et puis, dans la foulée tu pourrais aller lire Houria Bouteldja et Louisa Yousfi3 qui t’expliqueront bien mieux que moi que la violence de l’homme noir ne peut pas être analysée de la même manière que celle de l’homme blanc. Qu’elle est produite par le patriarcat et le racisme blancs qui stigmatisent, humilient et tuent les hommes indigènes. Que leurs violences sont les effets de ces humiliations. S’ils les font payer au prix fort aux femmes, et qu’il ne faut pas l’accepter pour autant, leurs actes restent le produit du patriarcat blanc, tenter de les combattre sans en tenir compte serait vain. Mais peut-être que c’est trop de réflexions conséquentes pour toi.  

Dans tes multiples oublis et raccourcis, il y a aussi l’avant-après agression. Parce que, je t’apprends rien bien sûr, la violence c’est pas uniquement l’acte. Toi, tu as décidé que ce qui permettait la violence, l’avant, c’étaient les étrangers. Mais laisse-moi te raconter une petite histoire.

Il se trouve qu’en 2016, nous vivions en période pré-metoo et qu’on n’abordait pas le harcèlement de rue comme aujourd’hui, En fait, on appelait ça « de la drague ». Donc, il était une fois un·e moi de dix-huit ans qui rentre gentiment à ma maison, un soir, après une soirée. Je suis à pied parce que mon bus s’est bloqué au centre-ville. C’est la demi-finale de l’Euro et y a des supporters partout. Je passe devant un bar et je réalise qu’un type me suit. Je me fais accoster. Il veut me raccompagner. Je me dis que c’est encore un de ces dragueurs un peu lourd, j’ai l’habitude. Avec mes amies, on se les raconte en riant, on a compris que c’était le passage obligé à l’âge-femme. Je dis donc oui entre mes dents. Le type m’accompagne et me tape la discute. On arrive devant chez moi et il veut pas me laisser partir. Il m’agrippe dans ses bras et me touche. 

Morale de l’histoire chère fémonationaliste : ce harcèlement de rue appelé « de la drague » a fait que je ne me suis pas méfié·e, ou disons pas autant que ce que j’aurais dû. Comment regardes-tu cela dans ton discours ? Parce que c’est tout le monde qui minimisait les agressions, qui appelait ça de la drague. Et puis, pour aller plus loin : que fais-tu du regard de l’agresseur sur mon corps ? Ce regard qui a été structuré par un comportement déterminé, celui de l’homme blanc qui subordonne la femme, la domine, la regarde comme inférieure et sienne ? Que fais-tu de la procédure judiciaire que j’ai entamée et qui, malgré l’agresseur identifié, n’a abouti à rien ? Et de cette-même procédure qui, si elle avait abouti, n’aurait strictement rien transformé du contexte qui a permis et produit l’agression et l’agresseur ? Comment regardes-tu les policiers qui m’ont demandé comment j’étais habillé·e ? Qui leur a appris à associer une agression à un corps trop sexuel, c’est-à-dire un corps qui provoque, c’est-à-dire un corps coupable de la violence qu’il a reçue ? Que fais-tu du silence de mes ami·es qui n’ont pas su, n’ont pas pu parler de mes agressions avec moi, parce qu’on était avant 2017, que le sujet était insivible dans l’espace public, dans l’espace privé, dans partout, avalé dans un système qui ne reconnaissait pas ces violences comme telles ? 

Si tu parviens à répondre à ces questions, chère fémonationaliste, je peux en déduire deux choses : soit tu n’es pas aussi fémonationaliste que tu l’imagines puisque tu as visiblement suivi le même raisonnement que moi qui, pour ma part, a débouché à une radicalisation de gauche. Soit tu as répondu en disant des bêtises et c’est pas bien. 

Désamicalement tien·ne, 

Ludi

________

1 “Le concept de fémonationaliste est introduit en France en 2013 par la sociologue Sara Farris, pour désigner les récupérations des luttes et rhétoriques féministes par des acteur.ices conservateur.rices ou d’extrême droite, et, plus généralement, l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes” Charlène Calderaro dans le chapitre Quand l’extrême droite s’approprie le féminisme, dans l’ouvrage Extrême droite: la résistible ascension, dir. Ugo Palheta, Éditions Amsterdam, 2024.

2 En 2018, en France, plus de neuf victimes sur dix connaissaient leur agresseur. Huit sur dix au Québec en 2024.
https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/10/27/viols-plus-de-neuf-victimes-sur-dix-connaissaient-leur-agresseur_5375570_4355770.html
https://www.inspq.qc.ca/violence-sexuelle/statistiques/adultes

3 Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous: vers une politique de l’amour révolutionnaire, La Fabrique éditions, 2016. Et Louisa Yousfi, Rester barbare, la Fabrique éditions, 2022.

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