Par Jessica
De retour en France, Jessica continue d’être une aventurière. Elle ne vous parle plus de voyage dans ses billets, mais de découvertes, de tâtonnements, et des désillusions dont la vie est faite, et le cœur du sujet est finalement le même. En rentrant au pays, un nouveau métier, et elle qui arrive, fraîche et pleine d’espoir, pour se fracasser sur l’expérience sociale.

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J’ai été médiatrice sociale dans les quartiers prioritaires de ma ville pendant deux mois. Ce fut court et intense. Mon domaine à la base, c’est le tourisme, je suis ingénieure touristique. Et oui, la voyageuse en sac à dos a fait un master. Seulement, moi, les milieux corporates, j’aime pas trop, et quand on est ingénieure, c’est généralement à ça qu’il faut s’attendre. Après les études, j’ai donc foutu en l’air mon bilan carbone pour voyager et travailler à l’étranger – promis, j’ai fait de mon mieux pour faire un voyage responsable malgré l’avion. Puis, au fil de mes expériences, j’ai commencé à me diriger peu à peu vers le social.
J’ai compris que si je ne l’avais pas fait avant, c’était par peur. Peur de mal faire, peur de ne pas être à la hauteur. C’est lorsque je me suis rendu à Sathi Sansar, un centre pour enfants atteints de paralysie cérébrale et motrice au Népal, qu’une étincelle s’est éveillée en moi. Je me suis sentie à l’aise, dans mon élément. J’étais entourée d’une équipe de salarié·es qui travaillaient avec peu de moyens, afin d’encadrer, d’éduquer et de soulager ces enfants. Je ne vais pas vous mentir, c’était assez chaotique. Un professeur pour dix enfants avec des âges et des troubles différents. Toustes faisaient de leur mieux. J’ai alors compris qu’être travailleur·euse social·e n’a rien à voir avec le fait d’être parfait, mais avant tout d’être impliqué et bienveillant.
Je ne devais pas revenir en France, mais j’ai senti qu’il était temps pour moi de m’investir, de militer à ma façon, dans mon pays. Finis la vadrouille, je pose mon sac à dos et je me retrousse les manches ! J’ai besoin de trouver un métier qui ne demande pas de diplôme et dans le social, pas facile. Je tombe sur une annonce pour être médiatrice sociale dans les quartiers prioritaires de la ville (QPV). Je dégote un entretien – youpi ! – et me renseigne sur le métier. La médiation sociale se définit comme un “processus de création et de réparation du lien social et de règlements des conflits de la vie quotidienne, dans lequel un tiers impartial et indépendant tente, à travers l’organisation d’échanges entre les personnes ou les institutions, de les aider à améliorer une relation ou à régler un conflit qui les oppose »(1). Pouf, on n’a plus d’air dans les poumons après avoir lu cette définition ! Je passe mon entretien, je suis sélectionnée pour un CDD d’un an. Je suis joie et surexcitée à l’idée de commencer. Je vous épargne tout suspens, j’ai vite déchanté…
Je compte trois raisons principales à ça, intrinsèquement liées entre elles. La première, la médiation sociale a lieu dans les QPV. Ça fait sens, c’est là que l’on retrouve une grande fracture dans l’accès aux droits. Ce qu’il faut comprendre à travers ce terme, c’est que l’État y mène une politique interventionniste. Ce que ça implique, c’est que les collectivités territoriales y dirigent des actions afin de réduire les écarts de développement entre les quartiers défavorisés et les quartiers les plus riches. Sur papier, c’est très beau, en pratique, on y est encore loin… De plus, j’ai été recruté par un Groupement d’Intérêt Public (GIP), majoritairement subventionné par la mairie. Vous la sentez venir l’entourloupe ? La définition mentionne bien que le·a médiateur·ice est un tiers INDÉPENDANT. J’ai vite compris que ce n’était qu’une illusion, nous étions bel et bien soumis à une autorité hiérarchique qui souhaitait qu’on lui rende des comptes. Et nous, tels de vaillants petits soldats, nous répondions docilement à toutes les demandes qui nous étaient faites… J’ai par exemple, des collègues qui ont été présenté aux habitant·es lors d’un événement, aux côtés de la police. Comment les habitant·es d’un quartier, où le rapport à la police est extrêmement problématique, peuvent avoir confiance en des médiateur·ices si nous sommes apparentés à cette police ?
Première désillusion. La deuxième a été la posture déontologique à adopter pour créer du lien tout en gardant une distance professionnelle avec les habitant·es. Dans Sociologie des quartiers de Cyprien Avenel, on retrouve l’idée que les médiateur·ices sont des “fonctionnaires de la civilité”. Que ce soit les animateur·ices ou les médiateur·ices de quartiers, ils ont toustes un point commun : “être issus du milieu”(2). J’ai vu de nombreux·ses collègues, issues des mêmes pays, voire des mêmes quartiers que les usagers, sortir de leur posture professionnelle. Le lien était ainsi plus facile à créer. Certain·es le faisaient même consciemment sous un besoin d’être vu, reconnu et glorifié pour les actions menées. Une médiatrice était ainsi devenue la “bonne copine” des femmes du quartier. Je me questionne donc sur l’impartialité des médiateur·ices. Est-il possible de rester impartial pour des sujets qui nous touchent personnellement ? À l’époque de Montaigne, on se questionnait déjà sur la valeur impartiale concernant le juge. Le constat a été émis que nos corps et nos esprits seront toujours tourmentés. Que ce soit par le déjeuner qu’on digère ou notre propre rapport au monde, nos décisions sont toujours influencées par notre état physique et émotionnel. L’impartialité est donc une vaine utopie. En somme, nous ne sommes jamais impartiaux, mais nous nous devons de le cacher dans l’exercice de nos missions de médiateur·ices. Je me questionne toujours sur l’applicabilité de cet idéal. Deuxième désillusion sur le métier, check.
Au fil des jours, j’ai remarqué de nombreux profils problématiques au sein de l’équipe. Certains comportements m’ont profondément questionnée sur l’éthique attendue dans ces métiers, en particulier face à des remarques discriminantes, notamment homophobes. Lorsque l’on travaille dans le social, comment est-ce possible de tenir des propos et des postures discriminantes, quelles qu’elles soient ? Comment être une personne ressource pour toustes avec ce genre de comportement ? Je me heurte à ma dernière désillusion, l’humain. Je finis par apprendre qu’on ne va pas me garder, ils ont besoin d’une personne avec plus d’expérience. Dernier coup de machette. J’ai donc pris mon sac à dos – de travail, pas de panique, je vais rester un moment en France – à la recherche d’un nouvel emploi…
Malgré le tableau que je vous ai dépeint, la médiation sociale reste un métier essentiel pour les quartiers. Avant tout, c’est être une personne accessible et présente sur le terrain pour orienter et accompagner les usagers dans leurs démarches d’accès aux soins, aux droits, à l’emploi et à tout ce qui touche à la dignité humaine. Aider les usagers, ça veut dire être en contact de familles, de personnes âgées, d’enfants, de personnes à la rue, de sans-papiers. C’est remettre de l’humain où il a été effacé, invisibilisé. C’est un métier magnifique, qui j’en suis sûre, peut être épanouissant à condition d’être dans une structure bienveillante, accompagnante et formatrice – ce qui n’a pas été mon cas, et m’a confrontée concrètement aux manques de moyens (humains, éthiques, matériels) qui entravent les métiers du social. Je ne sais pas encore où je vais poser mon sac, mais rassurez-vous, ça ne m’a pas dégoûtée : je vais tout simplement continuer à chercher à donner du sens à mes actions. ➡️

(1) Définition de la médiation – France médiation
(2) Sociologie des quartiers, Cyprien Avenel
Sources :
- La médiation sociale, France Médiation
- Sociologie des quartiers, Cyprien Avenal
- Allard, J. (2020). L’impartialité au cœur de l’autorité du juge. Approches philosophiques. Les Cahiers de la Justice, 4(4), 661-672. URL : https://doi.org/10.3917/cdlj.2004.0661