Ecrire, une activité solitaire ?

Par Charlotte Heyner

Motus, c’est aussi un tas de gens des quatre coins de France qui écrivent ensemble. Sur le petit rien qui les traverse, ou sur le gros de la société. Et s’il y a une chose qu’on peut en dire, c’est que rien ne vaut les moments où l’on relève la tête de son carnet, où l’on discute et où l’on s’inspire, pour mieux le restituer ensuite. Charlotte nous partage régulièrement sa passion de la littérature et de l’écriture, et aujourd’hui elle nous invite à la ronde de ses réflexions autour de la création, des solitudes et des inspirations.

Photo de Helena Lopes sur Pexels.com

Le mois dernier, j’ai participé à plusieurs ateliers d’écriture. Ce n’était pas la première fois que je m’inscrivais à ce genre d’atelier, mais c’était sans doute la première fois que le hasard les concentrait dans une période aussi courte. En a résulté : des pages noircies, des taches d’encre sur les doigts, beaucoup de joie, d’énergie et l’envie de continuer.

Dans les ateliers d’écriture, les exercices varient selon les envies de la personne qui l’organise mais le principe reste toujours à peu près le même : des gens qui aiment bien écrire ou qui sont curieux de tenter l’exercice se réunissent sous le regard bienveillant d’un.e auteur.ice qui leur propose un sujet, une consigne, quelque chose pour commencer à remplir la page. Et puis ensuite, on discute, on se lit, on s’écoute, on se pose des questions ou on partage ce que tout cela inspire et fait résonner.

Pour qui me connait un peu, le fait que je souhaite participer à ce genre d’évènement peut paraître étonnant. Je suis plutôt du genre contente quand je peux rester chez moi à lire un bouquin et surtout, surtout ne parler à personne, faire oublier mon existence au reste du monde. Un peu timide, quoi. Le genre qui avait sur ses bulletins : « ne participe pas », « discrète », « participez davantage ». Alors lire ses propres textes, rédigés en un quart d’heure pour répondre à une consigne qui ne nous inspirait que moyennement ? Impensable.

On imagine souvent l’écriture comme un loisir solitaire, à juste titre. On se voit assise à un bureau, devant un cahier ou un écran d’ordinateur, et la page blanche qui se noircit au fur et à mesure que l’on s’efforce d’extraire de l’esprit les histoires qui le peuplent. C’est souvent un loisir solitaire, c’est vrai, mais pas toujours.

C’est en allant à ces ateliers que j’ai découvert que, dans l’écriture, les autres peuvent être une compagnie bienvenue.

J’y suis allée d’abord par envie de garder un moment dans ma semaine consacré uniquement à l’écriture et d’apprendre des autrices qui menaient ces ateliers. J’y ai trouvé une écoute que je ne retrouve pas ailleurs, une énergie concentrée, le sentiment d’être entourée de personnes qui comprennent et partagent ce goût pour les histoires et le plaisir partagé à s’écouter lire. Ce sont des idées qui bouillonnent, se contaminent, se font écho par hasard, des imaginaires qui se côtoient. On est toujours surpris de la diversité des textes qui naissent à partir de la même consigne d’écriture.

Je garde des souvenirs à la fois précis et confus des différents ateliers de janvier, pêle-mêle :

– Le bruit du clavier de A. qui tape à toute vitesse à côté de moi parce qu’elle écrit toujours très vite, que l’écriture chez elle, fuse sur la page.

– Le courage de R. qui se lance en premier pour partager son texte et sa voix douce et grave qui nous suspend tous à ses paroles.

– E. qui lit son texte en modulant sa voix pour nous faire comprendre quel personnage parle, et par sa seule diction, toute une petite scène qui se déroule sous nos yeux.

– L’impression d’être comprise et entendue.

– Le goût des spéculoos que M. a apportés et qu’on grignote en rédigeant.

– L’enthousiasme de C. qui explique la suite de l’histoire qu’il a commencé à écrire, sa curiosité pour ses propres personnages qu’il découvre au fur et à mesure qu’il suit leurs aventures.

– Des motifs, des phrases qui m’ont touchées et que j’ai retenues.

– Ceux qui restent à table, ceux qui se lèvent et marchent, ceux qui vont s’asseoir par terre, ceux qui font rouler leurs épaules ou étirent leur dos.

– Le sourire d’E. lorsqu’il nous fait rire avec son texte.

-S. qui me donne la réplique pour lire mon texte à moi, un dialogue à deux voix que je trouvais très plat, trop plat, et qui, dans sa voix, me semble déjà transformé.

-La pause baby-foot avec une balle bricolée en papier brouillon, comme si l’écriture nous poursuivait aussi dans les interstices de l’atelier.

– Les discussions qui se prolongent une fois l’atelier terminé parce qu’on n’a pas vraiment envie de rentrer chez nous, de réaliser que c’est vraiment la fin.

Les ateliers ne sont pas l’unique solution. On la retrouve ailleurs, cette occasion d’être entouré.e : c’est l’ami.e qui partage cette passion et avec qui on peut en discuter, c’est travailler en équipe chez Motus pour se relire, discuter, ensemble. De manière générale, je crois que ce qui compte, c’est de réussir à s’entourer d’autres créateurs, reconnus ou amateurs peu importe, de gens de confiance avec qui échanger pour s’inspirer les uns les autres.

Je me rappelle avoir lu dans un extrait du journal de Mary Shelley, l’autrice de Frankenstein, qu’elle avait peur de l’enfermement en soi-même que crée l’isolation.  “Books do much ; but the living intercourse is the vital heat”. En français, ça donnerait quelque chose comme : les livres font beaucoup, mais la chaleur vitale est dans les relations vivantes, les conversations de vive voix. Je crois qu’elle ne parlait pas spécifiquement de la création littéraire dans ce passage, mais plutôt de la vie en général… Mais ça s’applique bien, je trouve. J’ai souvent tendance à considérer l’écriture comme une activité secrète et solitaire et je crois que j’ai tort.

Citation de Mary Shelley : Mary Shelley’s Journal. Edited by Frederick L. Jones. Norman: Oklahoma University Press, 1947. Cité dans Macovski, Michael, “Frankenstein as Vocative text” in Dialogue and Literature. Apostrophe, Auditors and the Collapse of Romantic Discourse, Oxford University Press, 1994.

C’est pas ringard, les emails ?

Par Charlotte Giorgi

Après avoir ruminé quelques temps le fait de ne pouvoir me rendre à Brest pour le bien-nommé festival Longueurs d’Ondes pour parler podcast, je me dis que pour une fois que quelque chose se déroule en dehors de Paris, il vaut mieux le célébrer. Cela dit, je n’étais pas en manque d’occupation dans la capitale puisque se déroule en cette fin de semaine le tout premier festival dédié à la newsletter, ou… infolettre, en bon français.

Alors, c’est marrant, parce qu’à l’ère des réseaux sociaux, on pourrait se dire que la gloire des emails est passée. Que l’ère est au contenu rapide, à la consommation de contenus comme dans des fast-foods de pixels, à l’échange immédiat et impromptu. Mais force est de constater qu’il y a quelque chose qu’on ne peut retirer à l’écrit, au temps long, au choix et à l’attention que l’on porte sur un contenu précis, qui n’atterrit pas dans nos boîtes mails par hasard.

La newsletter est une poche de résistance face à la modernité féroce. Une manière de parler à la fois directe et pleine de recul, un genre de conversation réfléchie tout en restant spontanée. Ce n’est pas juste un contenu qui arrive, c’est une communauté qui se crée, un échange choisi qui se permet.

Ici, trois newsletters qui nous plaisent beaucoup :

  1. Plumes With Attitudes pour célébrer l’écriture sous toutes ses formes
  2. Médianes, pour connaître l’écosystème des médias sur le bout des ongles
  3. Podcastzap, pour un petit tour d’horizon sonore

Chez Motus, nous aimerions beaucoup développer ce format pour parler avec vous. Est-ce que ça vous plairait ?

En attendant, vous pouvez toujours vous inscrire à notre lettre mensuelle, c’est gratuit et sans engagement!

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SEPT HEURES TRENTE

Par Charlotte Giorgi

Aujourd’hui on cause du sommeil. Et ça nous donnerait presque envie de dormir…

Photo de Pixabay sur Pexels.com

            En cherchant un titre, pour mon billet ce matin, j’avais envie d’écrire « ode au sommeil ». Et puis je me suis trouvée ridicule. Ridicule petite élève de la start up nation, célébrant la moindre minute passée les yeux fermés, se félicitant de l’essentiel, se congratulant sur les besoins fondamentaux avec des grandes tapes dans le dos. Ah, sacrée hygiène de vie hein. J’ai dormi cette nuit, bravo !

            La vérité c’est qu’il m’en faudrait huit ou neuf, des heures de sommeil, selon les scientifiques. Or « Pour la première fois depuis que le sommeil est observé sur le plan épidémiologique en France, le temps de sommeil moyen nocturne est inférieur à 7 heures », soulignent les spécialistes. En moyenne, les 18-75 ans dorment 6 heures 34 minutes chaque nuit en semaine et plus d’un tiers des Français (35,9 %) dorment moins de 6 heures. C’est une heure voire une heure trente de moins qu’il y a cinquante ans à peine. Et c’est aussi en dessous de la barrière critique des six heures de sommeil que le manque et la fatigue provoquent de graves problèmes de santé. Seul·es 5% des Français·es sont capables de fonctionner avec aussi peu d’heures de repos.

            On comprend un peu mieux pourquoi j’aurais voulu appeler ce billet « ode au sommeil ». Laissez-moi vous expliquer : il est sept heures trente, j’ai sauté l’étape petit déjeuner pour arracher chaque seconde possible à ces foutues journées qui commencent quand je ne suis jamais prête et oui, je rêve à une minute, rien qu’une minute où je pourrais de nouveau m’étaler sur mon lit. J’ai bien conscience que c’est un stade d’utopie assez pitoyable et que je pourrais rêver plus fort, voire mieux, exiger que cette espérance devienne vaguement un droit humain palpable dans ma vie d’esclave de mes propres projets, mais enfin voilà comment ça s’articule : je rêve de tout éteindre, même les soucis, de pouvoir repousser à demain en toute légitimité parce que « c’est l’heure de dormir ». Je rêve de poser mon téléphone, après avoir minutieusement réglé mon mode avion, je rêve de pouvoir lâcher toutes les responsabilités et enfoncer le poids du monde qui pèse sur moi dans un matelas moelleux mais pas trop, avec des draps souples. Je rêve de glisser mes pieds chauds sous les draps frais, de m’étirer, de chercher la position idéale, celle qui soulage enfin les jours de labeur, je rêve de me sentir partir et de n’avoir aucun besoin de me retenir, je rêve de dormir la bouche ouverte, l’oreiller qui marque, le corps inerte et soûl de fatigue. Je rêve de rêver.    

            Je rêve aussi de ces matins brumeux où les yeux sentent à travers la paupière la douce secousse du soleil, l’annonce de l’aube qui m’éveille sans rien d’autre. Je rêve que mon réveil ne me serve plus à rien, que mon corps renoue avec la mécanique qui le fait se rallumer, quand il est prêt, quand il a assez amassé les ressources qui lui servent jusqu’au prochain coucher de soleil. Et je pense, étourdie, que je n’ai jamais réussi à ne pas utiliser de réveil. La brutalité accompagne toujours le matin, le matin qui tombe au mauvais moment, tout le temps.

            C’est peut-être parce que je ne dors pas assez, et encore, je ne suis pas la pire, mais c’est peut-être pour ça, que mes rêves sont aussi nuls. Je rêve que ce soit la vie, fracassante, qui reprenne ses droits. Qu’on puisse croire que c’est ça, la vie, le sommeil, et pas quelque chose d’une mort anticipée parce que tout s’arrête. Tout s’arrête : tant mieux, car il viendra un jour où nous échouerons à recommencer, sans s’être arrêté pour contempler, absorber, se reposer. Ode au sommeil, quoi.

Les petits poucets

Les billets d’humeur de Motus sont de retour.

Par Charlotte Giorgi

Photo de Todoran Bogdan sur Pexels.com

            J’ai le syndrome de la page blanche.

            Je n’ai pas écrit pendant deux mois.

            J’ai l’impression de devoir dire des choses grandioses, interpeller, alpaguer. Être intéressante ou passer inaperçue. Passer inaperçue est probablement la chose qui me terrifie le plus au monde. Peut-être que ça fait de moi quelqu’un de terriblement orgueilleux, ou que je suis simplement obsédée par la mort et le fait de laisser des traces comme un petit poucet immortel grâce à ses miettes de pain.

            Je vous jure, j’essaye de démêler l’amas dans ma tête, de définir de quel évènement j’ai envie de parler, parce que si parler pour ne rien dire est insupportable, il n’y a rien de pire que quelqu’un qui fait de l’écriture un but en soi, qui écrit pour écrire. Alors je réfléchis à ces billets d’humeur, à ce à quoi ils devraient ressembler, ou ne pas ressembler du tout.

            Je ne veux pas écrire pour le style. Certains écrivent pour ne pas être compris, pour se distinguer de la masse qui ne comprend rien. Je les déteste.

            Je ne veux pas écrire pour informer. L’information est une balle perdue : si on ne détermine pas où elle va, pourquoi elle fait l’objet d’une transmission, et dans quelle mise en récit elle est enrobée, je crois qu’elle est presque plus inutile qu’une fake news. Elle rebondit sur les murs de nos quotidiens sans les pénétrer.

            Je ne veux pas parler pour les gens. Je veux que les gens parlent. Dans les billets. Qu’ils se racontent, qu’ils se livrent, je veux savoir ce qui les touchent et avec quelle peinture ils peindront sur notre siècle.

            Un billet d’humeur, c’est avoir tort. Pour certains. Et être la juste voix pour d’autres. C’est ne prétendre à rien et donner sans concession. C’est être soi-même et décider qu’il faut en faire quelque chose. C’est avoir un avis sans se taire. C’est penser à voix haute. C’est agréger ce qu’on en dit à ce qu’en disent les autres, pour qu’ensemble on puisse porter le sujet en dehors de la poussière, en débattre, s’acharner, s’étriper, se pardonner, avancer. C’est éclairer un fait brut, le regarder dans plusieurs miroirs déformants, comme une fête foraine, pour en extraire toute la substance, toutes les perspectives, le faire passer aux aveux, le métamorphoser en révolte ou en joie.  

            Je suis profondément persuadée que nos points de vue sur le monde sont légitimes, qu’ils valent le coup, qu’il y a besoin de scientifiques, de sociologues, de grosses têtes et de cerveaux vifs, mais que nous en sommes complémentaires. Je suis sûre qu’une idée bredouillante ici peut, si elle trouve l’espace de se déployer, faire écho à une autre là-bas, et en entraînant une boule de neige, ouvrir une agora.

            Je suis aussi convaincue que les mots ont un pouvoir d’action. Nous ne pouvons pas changer la société avant de l’avoir trouvée, d’avoir mis le doigt dessus, compris et exprimé ce que nous désirons, l’élan que nous avons, et donné envie à d’autres d’y plonger leur nez. Parler de la société pour mieux la transformer, au travers de points de vue sur le monde, voilà ce que nous voulons faire et quelle démarche nous ne réussirons pas à construire sans vous, sans vos avis, vos cultures, sans nous entrechoquer, être humbles, questionner sans cesse.

            Chaque semaine sur Motus, vous pourrez lire la génération qui subit et transforme son époque. Nous vous raconterons sans tabou et sans compromis, ce qui nous traverse et comment nous frémissons. Nous ne le faisons pas parce que nous pensons que c’est intéressant, ou stylé, ou un bon passe-temps. Nous le faisons parce que nous pensons que c’est nécessaire, dans une société où nos voix sont si souvent caricaturées, et où le monde, pourtant, continue de courir à sa perte. Dans le grand bazar des choses, il existe une génération qui a tous ses défauts, mais qui sera aussi au premier rang des nouveaux horizons. C’est ce que nous voulons raconter, intimement, authentiquement, et avec beaucoup d’espoir.