S’investir, partout, tout le temps

Par Léa

Léa prend la plume pour la première fois ici pour chercher des échos, entrer en résonance. En résonance avec sa génération, tourbillonnée par des notions aussi vagues que celles de « l’investissement », ce mot fourre-tout qui résume pas mal de ses tourments…

Photo de Devin Avery sur Unsplash

L’investissement c’est un peu glaçant pour moi.  On nous en demande beaucoup, tout le temps. De nous engager constamment, de se positionner à chaque instant, d’avoir un avis sur tout et surtout n’importe quand. Comme si le fait de s’investir allait empêcher l’injustice d’un monde qui tourne à l’envers, comme si nos voix allaient avoir un impact sur nos quotidiens. Et c’est très paradoxal, parce que je suis quelqu’un de passionnée, je donne toujours plus, toujours trop. Je vis ma vie à la manière de montagnes russes, toujours plus vite, toujours plus de secousses, toujours plus d’émotions. Pour me sentir vivante. Pour avoir l’impression de faire une différence.

Et tout me tient à cœur, tout me révolte, je réfléchis, beaucoup, je débats, parfois, je m’éduque, à chaque instant, je m’investis, tout le temps.

Mais dernièrement j’ai un peu perdu le rythme. J’ai un peu perdu l’envie. Je me complais dans le vide. 

Parce que mes analyses sur les problèmes sociétaux ne seront jamais assez pertinentes, parce que mes idées en politique ne seront jamais assez légitimes, parce que mes mots n’auront jamais aucun impact, quoi qu’il arrive.

Parce que je me décourage, quand je vois la quantité d’information qu’on nous balance tous les jours, et l’investissement proportionnel qu’on attend de nous en retour. Sur tout, partout, tout le temps. 

Parce que mon cerveau sature, de la corruption, du mensonge, de la violence, de la cruauté des sociétés humaines.

Parce que je crois que je suis fatiguée, de me débattre constamment pour sortir la tête de l’eau. Je déploie toute ma force à relever la tête, mais rien ne bouge tant la pression de la main qui m’y maintient est forte. 

Un pas en avant, trois pas en arrière, pourquoi est-ce que c’est la seule règle qui revient constamment ? 

C’est comme se battre contre le vent. On finit par s’épuiser, par accepter les secousses, et quand il devient tempête, on se barricade en attendant que ça passe.

On ne peut pas battre le vent. La seule solution c’est de l’accepter, de se protéger et d’attendre que ça passe. Alors on se cache, on espère un miracle en silence, comme des enfants.

Alors j’attends.

En amour, j’ai une peur glaçante de trop m’investir, de trop donner, de trop m’ouvrir, de trop m’exposer.

Comme si c’était la loi. Que de se dire « ça vaut pas le coup, ça ne vaudra jamais le coup ».

Finalement, les relations sont un peu condamnées à se terminer, comme toute chose qui ait jamais existé. Le carcan de la fatalité ne cédera jamais, exactement comme celui du système. 

Et n’est-ce pas une raison suffisante pour se dire que le jeu n’en veut pas vraiment la chandelle ? Que la souffrance n’en sera que toujours plus que amère ? Que ni l’amour, ni les gens ne sont jamais vraiment fidèles ? 

Que les paroles ne seront toujours que de simples promesses sans réel fond, et que même une promesse est finalement un concept qui contredit sa propre définition ? 

Si tout est voué à finir, si tout n’est qu’éphémère, pourquoi se dire « toujours » quand ce mot n’a de sens qu’à travers le prisme d’une réalité idéalisée ? 

Je sais ce que vous allez dire, c’est vachement triste comme conception de la vie. Et c’est vrai.

Je veux vous rassurer en vous disant que je ne pense pas toujours de cette façon, je ne sais pas fonctionner sans donner toute mon énergie dans un projet qui me tient à cœur. Quel qu’il soit.

Que je vibre toujours plus fort à chaque instant, que je donne à en perdre haleine, que je m’éduque encore tous les jours, jusqu’à en perdre la notion du temps, que j’y crois encore un tout petit peu, à mon « toujours ».

Mais je suis fatiguée. Du haut de ma vingtaine, je m’essouffle déjà à courir le marathon de la vie. Alors j’apprends à reprendre mon souffle, à accepter d’arrêter d’avancer. À m’appuyer sur les autres coureurs parfois, jamais trop, pour ne pas les laisser sur le bord de la route, mais assez, pour partager le poids de mes doutes.

Mais comment on fait quand on n’a plus envie de repartir ? Quand la fin du périple nous paraît si loin qu’on finit par se décourager, que les autres passent à côté de nous sans nous voir, qu’on finit par chérir le moindre souffle et à tous les garder pour soi ? 

Quand est-ce qu’on accepte le fait de courir pour ne jamais passer la ligne d’arrivée ? Comment est-ce qu’on se résigne à admirer la beauté d’un horizon qu’on n’atteindra jamais ? 

A quel moment de ma vie vais-je enfin apprécier le voyage plutôt que la destination ? 

Quand est-ce que je trouverai ça agréable, de courir ce marathon ? 

Je sais que la sagesse vient avec le temps, je suis simplement impatiente.

Et j’ai encore tant de choses à vivre, tant d’énergie à donner à des causes importantes. 

Ce texte n’est finalement qu’un énième papier sans réel sens, parce qu’il n’attend pas de réponse. Peut être juste, quelque part pour quelqu’un, une résonance.

– Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure. –

Catherine, journaliste, et le long chemin d’un engagement

Par Soldat Petit Pois

Photo de Joppe Spaa sur Unsplash

Aujourd’hui sur notre podcast écolo Oïkos, je reçois Catherine,  journaliste passée par bien des questionnements autour de ce métier clé dans les prises de conscience écolo, et membre de l’association « Climat Médias », qui milite pour… ben plus de climat dans les médias 🙂

Avec Catherine, on a bien entendu parler du rôle de la presse dans l’écologie, de l’objectivité journalistique, et de la pression des citoyens sur leurs organes de presse qui s’intensifie et fait naître pas mal de chartes ces derniers temps. Mais c’est pas tout : Catherine a aussi accepté de mêler toutes ces notions à son propre parcours.

De ses débuts de jeune journaliste, en recul des débats, et inconfortable face aux positions écolos qu’elle trouvait alors un peu extrêmes, jusqu’à l’enfermement loin des infos pendant une période où elle a tout quitté et versé dans les sphères complotistes du mouvement écolo, jusqu’à arriver enfin à un équilibre plein de volonté d’agir, son parcours est la preuve que l’engagement n’est jamais linéaire, qu’il demande du temps et quelques claques pour enfin permettre de se réapproprier les combats qui nous tiennent à coeur.

Notre conversation est disponible sur toutes les plateformes d’écoute! Bonne écoute 🙂

Militer sur tous les fronts, avec Lucie Boutez

Par Soldat Petit Pois

Photo de Pixabay sur Pexels.com

Bonjour, c’est Soldat Petit Pois!

J’espère que vous allez bien, on se retrouve aujourd’hui pour un nouvel épisode du podcast Oïkos pour parler d’écologie entre nous. 

Ce que j’aime bien dans l’écologie, c’est cette idée de « tout est lié ». De liens entre nous, notamment. Une idée qui revient régulièrement au cours de nos discussions. Depuis le début de ce podcast, j’ai interviewé environ soixante-dix personnes, et hors du micro, j’en ai rencontré des milliers. Croisés dans des tiers-lieux, à des évènements, croisés en manif ou pour une discussions d’un quart d’heure. Refaire le monde et peut-être ne plus jamais se croiser. Débattre, apprendre, et se faire des amis sur la route. 

Lucie, mon invitée du jour fait partie de ces belles rencontres. Je ne sais plus comment on s’est trouvées toutes les deux, mais beaucoup de choses nous rapprochent. On a pris un verre un jour, et j’ai découvert une jeune femme comme celles qui me donnent de l’espoir : engagée sur une multitude de fronts, curieuse et avide d’un nouveau monde. Une étudiante aussi qui se débat parfois avec les mêmes questions que moi : comment tout concilier, le début d’une vie d’adulte et des engagements qui prennent beaucoup de place ? 

J’ai eu envie de la recevoir à mon micro pour qu’elle nous partage son expérience et ses ressentis sur l’engagement écolo, et qu’on puisse peut-être, à deux, vous apporter quelques réponses. 

Merci à elle d’avoir accepté l’invitation !

L’épisode est disponible sur toutes les plateformes d’écoute.

Bénévoles, jusqu’où ?

Photo de RODNAE Productions sur Pexels.com

Aujourd’hui, comme depuis 1985 et une décision de l’ONU, c’est la journée mondiale du bénévolat. Le bénévolat, d’après Le Robert, désigne la situation d’une personne qui accomplit un travail gratuit, sans y être obligée. En France, on en compte, d’après les chiffres du gouvernement en 2021, 12,5 millions. Oui, ça fait pas mal. Un Français sur 4, en fait. Et parmi eux, « un peu plus de un français sur dix, soit entre 5.2 et 5.4 millions de personnes, agissent sur un mode hebdomadaire et constituent la colonne vertébrale des associations. Plus de 85% des associations françaises sont gérées exclusivement par des bénévoles. »

Chez Motus, nous fonctionnons aussi avec des bénévoles (et les meilleur·es <3). Iels participent à la vie du média sous tous ses aspects. Et c’est génial.

Mais tout ça pose quand même quelques questions :

  • où s’arrête le bénévolat et où commence le travail salarié déguisé ?
  • comment établir et nourrir des relations égalitaires sans les cadres « capitalistes » auxquels nous sommes habitué·es et où la rémunération et les fiches de postes régulent nos rapports ?
  • comment prôner une société d’entraide et de rapports gratuits sans renforcer la domination qui écrase déjà les personnes précaires, et tirer des marchés vers le bas ?

Dans toutes ces questions, que nous explorons comme beaucoup d’autres structures, s’entrechoquent la volonté de construire une société plus solidaire, où tout n’est pas marchandisé, et la nécessité de rémunérer correctement le travail, et de permettre à tous et toutes de vivre sereinement.

Voici quelques pistes de réflexion :

  • être clair·e sur les attentes et les besoins des deux côtés, même si aucun contrat ne nous lie, tout le monde se protège en évitant les incompréhensions ou les attentes démesurées
  • valoriser le temps et l’engagement bénévole par des moyens non marchands (toujours remercier, apporter de la considération, du temps en retour, des moments de partages, des cadeaux non matériels,…)
  • organiser des moments de discussion privilégiés autour du travail bénévole, pour une approche transparente et hors de rapports hiérarchiques, où les paroles peuvent s’exprimer
  • Adapter les structures constamment face aux retours des bénévoles (et non l’inverse :))
  • Laisser libres les portes de sortie : toujours explicitement rappeler que l’engagement ne doit pas être contraint, sous aucune circonstance
  • Réfléchir au sens du bénévolat pour l’organisation : pourquoi ai-je besoin de bénévoles ? pourquoi ai-je écarté la piste salariée ?

Les contraintes financières pèsent aussi sur les prises de décisions. Le raisonnement « bénévolat = exploitation » stigmatise de fait les petites organisations, et les personnes plus précaires qui n’ont pas d’autre choix que de s’organiser hors des rapports marchands, en privilégiant des valeurs d’entraide et de solidarité pour des projets qui font sens et qui nourrissent également les bénévoles. Accordons-nous sur le fait que ces valeurs sont d’ailleurs celles que nous avons urgemment besoin de développer dans notre société, aujourd’hui. Le problème n’est donc pas le bénévolat en soi, mais le pourquoi, et le comment. Frayons-nous un chemin éthique, digne et porteur au milieu de tous ces points d’interrogations!