Par Léa
Léa prend la plume pour la première fois ici pour chercher des échos, entrer en résonance. En résonance avec sa génération, tourbillonnée par des notions aussi vagues que celles de « l’investissement », ce mot fourre-tout qui résume pas mal de ses tourments…

L’investissement c’est un peu glaçant pour moi. On nous en demande beaucoup, tout le temps. De nous engager constamment, de se positionner à chaque instant, d’avoir un avis sur tout et surtout n’importe quand. Comme si le fait de s’investir allait empêcher l’injustice d’un monde qui tourne à l’envers, comme si nos voix allaient avoir un impact sur nos quotidiens. Et c’est très paradoxal, parce que je suis quelqu’un de passionnée, je donne toujours plus, toujours trop. Je vis ma vie à la manière de montagnes russes, toujours plus vite, toujours plus de secousses, toujours plus d’émotions. Pour me sentir vivante. Pour avoir l’impression de faire une différence.
Et tout me tient à cœur, tout me révolte, je réfléchis, beaucoup, je débats, parfois, je m’éduque, à chaque instant, je m’investis, tout le temps.
Mais dernièrement j’ai un peu perdu le rythme. J’ai un peu perdu l’envie. Je me complais dans le vide.
Parce que mes analyses sur les problèmes sociétaux ne seront jamais assez pertinentes, parce que mes idées en politique ne seront jamais assez légitimes, parce que mes mots n’auront jamais aucun impact, quoi qu’il arrive.
Parce que je me décourage, quand je vois la quantité d’information qu’on nous balance tous les jours, et l’investissement proportionnel qu’on attend de nous en retour. Sur tout, partout, tout le temps.
Parce que mon cerveau sature, de la corruption, du mensonge, de la violence, de la cruauté des sociétés humaines.
Parce que je crois que je suis fatiguée, de me débattre constamment pour sortir la tête de l’eau. Je déploie toute ma force à relever la tête, mais rien ne bouge tant la pression de la main qui m’y maintient est forte.
Un pas en avant, trois pas en arrière, pourquoi est-ce que c’est la seule règle qui revient constamment ?
C’est comme se battre contre le vent. On finit par s’épuiser, par accepter les secousses, et quand il devient tempête, on se barricade en attendant que ça passe.
On ne peut pas battre le vent. La seule solution c’est de l’accepter, de se protéger et d’attendre que ça passe. Alors on se cache, on espère un miracle en silence, comme des enfants.
Alors j’attends.
En amour, j’ai une peur glaçante de trop m’investir, de trop donner, de trop m’ouvrir, de trop m’exposer.
Comme si c’était la loi. Que de se dire « ça vaut pas le coup, ça ne vaudra jamais le coup ».
Finalement, les relations sont un peu condamnées à se terminer, comme toute chose qui ait jamais existé. Le carcan de la fatalité ne cédera jamais, exactement comme celui du système.
Et n’est-ce pas une raison suffisante pour se dire que le jeu n’en veut pas vraiment la chandelle ? Que la souffrance n’en sera que toujours plus que amère ? Que ni l’amour, ni les gens ne sont jamais vraiment fidèles ?
Que les paroles ne seront toujours que de simples promesses sans réel fond, et que même une promesse est finalement un concept qui contredit sa propre définition ?
Si tout est voué à finir, si tout n’est qu’éphémère, pourquoi se dire « toujours » quand ce mot n’a de sens qu’à travers le prisme d’une réalité idéalisée ?
Je sais ce que vous allez dire, c’est vachement triste comme conception de la vie. Et c’est vrai.
Je veux vous rassurer en vous disant que je ne pense pas toujours de cette façon, je ne sais pas fonctionner sans donner toute mon énergie dans un projet qui me tient à cœur. Quel qu’il soit.
Que je vibre toujours plus fort à chaque instant, que je donne à en perdre haleine, que je m’éduque encore tous les jours, jusqu’à en perdre la notion du temps, que j’y crois encore un tout petit peu, à mon « toujours ».
Mais je suis fatiguée. Du haut de ma vingtaine, je m’essouffle déjà à courir le marathon de la vie. Alors j’apprends à reprendre mon souffle, à accepter d’arrêter d’avancer. À m’appuyer sur les autres coureurs parfois, jamais trop, pour ne pas les laisser sur le bord de la route, mais assez, pour partager le poids de mes doutes.
Mais comment on fait quand on n’a plus envie de repartir ? Quand la fin du périple nous paraît si loin qu’on finit par se décourager, que les autres passent à côté de nous sans nous voir, qu’on finit par chérir le moindre souffle et à tous les garder pour soi ?
Quand est-ce qu’on accepte le fait de courir pour ne jamais passer la ligne d’arrivée ? Comment est-ce qu’on se résigne à admirer la beauté d’un horizon qu’on n’atteindra jamais ?
A quel moment de ma vie vais-je enfin apprécier le voyage plutôt que la destination ?
Quand est-ce que je trouverai ça agréable, de courir ce marathon ?
Je sais que la sagesse vient avec le temps, je suis simplement impatiente.
Et j’ai encore tant de choses à vivre, tant d’énergie à donner à des causes importantes.
Ce texte n’est finalement qu’un énième papier sans réel sens, parce qu’il n’attend pas de réponse. Peut être juste, quelque part pour quelqu’un, une résonance.
– Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure. –