Charlotte Giorgi
Si le droit à mourir dans la dignité peut ressembler à un combat forcément digne et des plus consensuels dans nos cercles, le fond peut finalement être plus glissant qu’il n’en a l’air. Et aller chercher de la complexité sur les sujets qui rassemblent et ressemblent au sens de l’histoire, ça bouscule. Comment tenir debout si même nos fondations sont mouvantes? Les discussions autour de la fin de vie ne sont pas si consensuelles. Et si la complexité est peu confortable, c’est aussi bien nécessaire.

La vie est toujours la valeur ultime. À moins que ce soit « la dignité » maintenant. On ne sait plus trop. Et à la fin on découvre que c’est simplement les morales qui l’emportent sur les autres, et puis des questions de curseur, d’équilibre, de virgules, de garde-fous, de ce qu’on réussit à pousser, de ce qu’on laisse nous convaincre.
Ces derniers jours, on cause de l’euthanasie. À la radio, dans les journaux. Ça remue, parce que quand on parle des fins ça remue. Et de la grande fin encore plus.
Moi je n’ai jamais dévié : je veux mourir digne et c’est d’ailleurs un peu bête de croire que qui que ce soit pourrait vouloir autre chose. La question c’est aussi celle que j’avais un peu éludée. Vouloir mourir, tout court. Vouloir mourir depuis quelques temps ne me paraît ni décevant, ni si extraordinaire. Ce n’est pas tant avoir envie de disparaître que de ne plus vraiment avoir envie de vivre. Alors sans penser à la fin tout de suite maintenant, je me dis que oui, ça serait sympa si on pouvait faire ça calmement, dans son pays, de manière digne. Aucune envie de crever sous un métro, ou à petit feu de dénutrition. Alors depuis toujours et peut-être pour toujours, j’ai pensé que le droit au suicide assisté, à la mort, était fondamental. J’ai toujours pensé que le combat pour la légalisation de l’euthanasie allait de soi, et serait forcément consensuel, au-delà des discordes religieuses et de pures morales que je considérais un peu dépassées.
Mais depuis quelques jours, une brèche. Des certitudes se fissurent. D’abord en lisant la très éclairante newsletter de Présages, par mon amie Alexia Soyeux, que je vous recommande vivement. Puis en traînant sur le Twitter militant, où je me suis mise à suivre pas mal de camarades handicapé·es et engagés dans le combat anti-validiste (si ce mot sonne obscur, je vous renvoie à un précédent billet sur le sujet qui vous donnera quelques clés par ici). Alexia, comme moi, explique qu’elle a toujours pensé que soutenir l’euthanasie et les progrès de la loi en ce sens était la seule option progressiste, logique, de gauche même.
Et puis ensuite, c’est le serpent qui se mord la queue. Dans un monde où le soin n’a jamais été si peu accessible, où l’on considère le vieillissement de la population et les retraites comme un fardeau dont on aimerait se délester, dans une société où l’on compte en chiffre et en rentable, où les Ehpad sont des mouroirs et où l’on considère les personnes “handicapées” comme des gens un peu moins humains, que pourrait-il se passer si le coût des soins palliatifs revient plus cher que celui d’une mort tranquille? Quels garde-fous monumentaux faudrait-il raccrocher pour être sûr de ne pas ouvrir une porte par laquelle s’engouffreraient des horreurs? Et que risque-t-on, à avancer ces pions-ci dans ce monde-là?
Et les mots d’Alexia sont si justes : « En général, c’est une bonne idée de se demander, avant de se faire un avis sur un sujet, ce qu’en pensent les personnes les plus vulnérables et les personnes les plus concernées. »
Alors quoi, sans garde-fou on abandonne? Comme la société n’est pas digne, on ne peut pas permettre certaines dignités sans en enfoncer d’autres?
À mesure que l’on avance, les certitudes sont mises à mal par la déliquescence des acquis. Et on s’accroche au fil de raisonnement plutôt qu’à des pensées toutes faites. Et ça bouscule. Et c’est dur. Parce que ça fait mal de glisser avec le monde. Mais qu’on n’a pas le droit à la facilité. J’avais envie d’ouvrir cette porte-là, au cas où ça vous dirait de vous y engouffrer, et qu’on soit complexes ensemble.