Par Charlotte Giorgi
À propos de Palestine, de Liban, du ciel et des Gaulois.

Quand on était petits, on nous racontait qu’Astérix et Obélix, ces bons vieux Gaulois, avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête. À cette époque, je m’étais déjà fait la réflexion que le ciel ne me paraissait pas si lourd que ça. Qu’on sentirait peut-être même pas que les nuages s’étaient décrochés. Quand j’étais petite, je trouvais que ces gaulois qui se gavaient de sangliers de façon virile étaient un peu chochottes.
Aujourd’hui, je me pose toujours la même question : comment sait-on que le ciel nous est tombé sur la tête? Est-il possible de fonctionner, d’avancer dans une sorte de brouillard épais et de se plaindre du temps maussade sans remarquer que ce qui nous tenait ensemble, d’un bout à l’autre de la planète, s’est effondré?
Aujourd’hui à la radio, ils ont parlé d’Israël qui attaque désormais le Liban. Dans le sud du pays, les bombes ont fait plus de 300 morts. Pour une raison obscure, le Liban me paraît très proche. Peut-être à cause d’Ala, une fille du collège, qui venait de Beyrouth. Et tous les autres rencontrés après. Beyrouth, ce n’est pas un nom de guerre. Le nom convoque l’imaginaire d’une ville élégante, d’un étrange pas si étranger. Et pourtant, Beyrouth aussi est engloutie dans le spectre de Gaza. Sur France Info, une dame confie : “j’ai peur que nous devenions le nouveau Gaza”. Le spectre de l’acceptable se déplace, même quand il n’aurait jamais du exister. Les gens s’en étonnent à demi-mots aux micros : la souffrance devait être contenue par ce nom maudit, cette petite bande de terre pilonnée jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien : Gaza. Mais Gaza s’étend.
Et peut-être s’étend-elle parce que nous n’avons pas toustes remarqué que le ciel s’est effondré.
Aujourd’hui en Kanaky, la France fête l’anniversaire de sa colonisation. Au Liban, on meurt, on se déplace et on part, pour des histoires de colonisation. Les colonisateurs accaparent aussi la démocratie, les terres ne leur suffisent pas : il leur faut des gouvernements (même s’ils n’ont pas été élus), il leur faut des médias et des silences. Surtout des silences. Ils tirent le ciel à nous, le déchirent et le transpercent de part en part avec leurs missiles et leurs obus. Et de nous on exige le silence, et la marche au pas dans le brouillard du ciel abattu.
À l’horizon, octobre se profile. Le 7 octobre. On dirait que cette date ne peut pas revenir, qu’elle s’est exclue du cycle, qu’elle est devenue le nom de quelque chose qui ne peut avoir lieu qu’une fois, parce qu’on aurait la certitude que le ciel s’est effondré si on pouvait dire à voix haute qu’avant elle et après elle, les gens souffrent de celles et ceux qui distribuent leurs terres, trient les demandes et les peines, légitiment ou ne légitiment pas les peurs et les exclamations, disqualifient les rages, et jugent depuis leurs sièges occidentaux, ce qui est digne de vie ou digne de mort sur cette terre qui a perdu son ciel.
Le ciel ne ploie pas sous le poids des étoiles qui le rejoignent par centaines. Il s’effondre sous nos pieds d’indifférence, nos piétinements de rien à foutre.
Que peut-on faire
Ne vaut-il pas mieux se protéger
Se préserver, se développementpersonneller, se santémentaler
Que peut-on faire de toute façon?
Et depuis des années, depuis des mois encore plus fort, on ne sait pas quoi répondre, à part : repousser le ciel de toutes nos forces, empêcher la Voie Lactée de se décrocher, les astres de chuter. Ouvrir grand les yeux et ne plus croire que le ciel est toujours au-dessus de nous, comme il doit l’être. Recréer le ciel. Retrouver le ciel. Ne serait-ce que ça.
Et puis, donner, parler, ne jamais cesser de s’activer pour en limiter les étoiles.
Aujourd’hui, demain et les autres jours, pensez à Gaza. Elle qui n’est pas une ville maudite, mais un endroit où le ciel n’est qu’une menace qui plane au-dessus de la tête. Parlez de Gaza à vos petits enfants aux boucles chéries, au lieu d’Obélix. Dites-leur que ce sera la tâche de notre génération : le souci du ciel. Pas pour chercher l’absolution et le paradis derrière les nuages, mais pour faire exister les cieux. Juste ça. Le défi d’une vie, la responsabilité d’une génération.
Palestine vaincra! Pour le ciel, le leur et le nôtre. Ils se touchent. Ils se condamnent. Ils nous sont communs. Alors : Palestine vivra!