Par Laura Wolkowicz
Pour son premier billet de rentrée en cette nouvelle saison motussienne, il est à peu près certain que Laura aurait aimé vous écrire sur un ton léger, avec l’insouciance gardée de l’été. Mais nouvelle saison, ça veut aussi dire nouvelles claques à digérer et décortiquer sur Motus. Cette claque-là, elle date du 2 septembre, date du début du procès de l’affaire Pélicot. Laura, cette claque lui a fait mal. Avec la rédac, on s’est pas mal demandé ce qu’on pouvait rajouter à tout ce qui a déjà été si justement dit par nos collègues journalistes et féministes sur ces horreurs « de Mazan » – comme si elles ne pouvaient se produire que dans ce bled dont on ne sait rien. Et puis on s’est dit que ce qu’il manquait, c’était peut-être cette surprise sans cesse renouvelée de devoir éclairer nos intimités d’une lumière politique crue, violente, et triste pour faire rendre des comptes. Laura a voulu en toucher un mot (enfin, un peu plus même), même si ça part dans tous les sens, que ça résonne à plein d’endroits différents, et que le 2 septembre paraît déjà lointain, comme si on pouvait s’accoutumer à l’horreur après le matraquage médiatique.
Trigger Warning : agressions sexuelles et viol

Le 2 septembre, quand toustes les étudiant·es de France rejoignaient les bancs de l’école, ce sont 51 violeurs qui prenaient place sur le banc des accusés dans le tribunal d’Avignon. Deux situations bien plus proches que ce que l’on pense… : de simples élèves venus recevoir et apprendre une leçon.
Leçon #1 – Toute relation sexuelle avec un.e partenaire n’ayant donné leur consentement libre et éclairé est un viol.
Ex : une femme endormie et inerte pendant une relation sexuelle n’est pas consentante
Leçon #2 – La femme, même si mariée, est seule tributaire de son consentement. Le consentement de son mari ne remplace pas le sien.
Ex : toute relation sexuelle réalisée avec le consentement du mari mais sans le consentement de la femme, reste… un viol!
Leçon #3 – *Message spécial au mouvement Trad Wife* La femme ne lègue pas son corps à son mari lorsqu’elle signe le contrat de mariage. Son mari n’est pas « propriétaire » de sa femme et de son corps.
Ex : Il n’y a pas de devoir conjugal et le viol conjugal existe dans et hors mariage.
Leçon #4 – Aucune caractéristique de la victime agit comme un caractère atténuant du viol.
Ex : Mettre en cause la tenue de la victime, ses pratiques sexuelles, sa personnalité ou même son métier (les travailleuses sexuelles peuvent aussi être victimes de viol) ne change pas les faits : ça reste un viol.
Maintenant que nous avons posé les bases, revenons-en à notre sujet du jour : les procès des viols de Gisèle Pélicot, un procès historique, et, je l’espère, l’occasion de changer la compréhension et la législation de la France sur la question du viol.
Parce qu’aujourd’hui, ce sont encore 94% des accusations de viols qui sont classées sans suite et 86% si on prend en compte tous les cas de violences sexuelles, souvent par « manque de preuve ». Mais pour le coup, ici, ce ne sont pas les preuves qui manquent…
En effet, dans cette affaire, le juge peut s’appuyer sur les preuves irréfutables que sont les enregistrements des actes par Dominique Pélicot. Irréfutables. Irréfutables, mais pourtant la majorité des accusés refusent de plaider coupables même après le visionnage des vidéos. Toutes les cartes sont jouées pour essayer de nous faire tirer la larmichette, nous faire oublier ce qui se joue au centre de l’affaire : ces hommes ont consentis et ont été acteurs de relations sexuelles sur une femme qu’ils savaient droguée et inconsciente, causant des dégâts irréparables sur sa vie. Pas besoin de procès pour savoir qu’ils sont coupables de viols…
Les masques tombent. Le mythe du violeur monstrueux s’effondre. Un flot de paroles abrasives se déverse sur le corps de Gisèle Pélicot et par ricochet sur toutes les victimes de violences sexuelles. Pour mieux révéler que ces procès ne sont rien qu’un miroir de notre société imprégnée par la culture du viol.
À chaque procès visant des agressions sexuelles, et uniquement pour ceux-ci, c’est la même histoire. Là encore, on assiste à nouveau au spectacle de victimisation et de déresponsabilisation de ces “garçons” accusés et à celui de culpabilisation de la femme agressée – alors même que le système juridique français est censé appliquer la Convention d’Istanbul qui sanctionne ce processus.
Chaque procès est un rappel supplémentaire que notre pays, notre gouvernement, notre société, soutiennent l’impunité des violeurs et se lavent les mains de la souffrance des victimes. Je suis excédée de voir l’histoire se répéter. En tant que femme cis relationnant plutôt avec des hommes, je reçois les propos des accusés et de leur défense, rapportés par la presse, avec une extrême violence. Je me sens salie, irrespectée, inconsidérée, délaissée.
Malgré le fait que j’ai bien intégré les rapports de domination et la patriarcalisation de notre société, jusqu’ici j’ai toujours vécu ma vie dans la plus grande insouciance.
Moi avant :
Mais quand à partir du 2 septembre les news et mon feed ont commencé à être remplis des horreurs des procès de Gisèle Pélicot, des propos terrifiants prononcés par ces hommes tout à fait basiques et leurs avocats, ainsi que de vidéos de femmes courageuses énumérant les violences sexuelles et sexistes qu’elles avaient subies tout au long de leur vie, difficile de continuer à vivre comme si de rien n’était.
Moi après :
Depuis que j’ai débuté ma vie sexuelle, j’ai toujours vu cela comme une source de plaisir, d’épanouissement, d’empowerment même. Je me suis toujours sentie très libre… mais depuis je me rend compte qu’au final mon expérience, tumultueuse, n’est pas si différente de celle de mes sœurs.
Et tout ça me dépasse. Je ne suis donc qu’un pion sur cet échiquier de la conquête vaginale sociétale. Prise dans les filets du patriarcat. Mon vagin n’est pas mien, mon vagin n’est pas plaisir, mon vagin est POLITIQUE... Mais comment faire, en tant que féministe, pour continuer à vivre et profiter de mon intimité sans qu’elle ne soit constamment éclaboussée par le politique ? Sans qu’elle ne soit confisquée constamment par son objet politique?
Car ce sont des hommes en costumes gris ou en robes noirs qui décident si oui ou non des personnes non-invitées ont le droit et ont eu raison d’y rentrer ou encore si j’ai le choix ou non de l’utiliser pour procréer. Mon consentement n’existe pas dans la loi alors il n’existe pas dans la tête des hommes, qui n’ont malheureusement pas tous compris qu’il en était la clé d’accès.
J’ai beau avoir tout fait pour m’entourer de personnes convaincues, d’hommes plus ou moins déconstruits, la réalité m’a rattrapée : on est en 2024 et malgré nos efforts, le féminisme patauge et se divise, les mascus sont de plus en plus nombreux, les trad wifes évangélisent sur les réseaux, le sexisme augmente et la société continue de soutenir et propager la culture du viol. On dit que nos vagins sont politiques, sauf qu’après, il nous faut vivre, nous. Comment faire pour continuer à naviguer en toute insouciance dans ce monde résolument misogyne malgré la colère et l’insécurité et cet atroce procès ?
Comment me réapproprier mon corps ? Comment faire l’amour avec des hommes « inconnus » ? Comment continuer à relationner avec des hommes ? Comment leur faire confiance ? Comment naviguer à travers des profils d’inconnus sur les apps ? Comment me sentir en sécurité d’aller à un date avec un inconnu ?
Ce sont les préoccupations qui habitent ma vie aujourd’hui et que j’entends résonner dans les paroles des femmes. Parce qu’il ne s’agit pas que d’un procès, d’un gros titre dans les journaux. Il s’agit de nos VIES. Nos vies que l’on veut sécuritaires, égalitaires, insouciantes, libres et heureuses.
(même si politiques)
(surtout si politiques)
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Turbulences, ce sont les chroniques d’une femme cis blanche “privilégiée” hypersensible qui décide de s’emparer et de décortiquer les turbulences sociétales et personnelles qui la bousculent. Un petit plongeon dans l’œil de la tempête pour un grand bain de prises de tête.