Par Noa
Parce qu’on a dit que c’était l’année des paradoxes, Noa vous parle des cagoles, de leur stéréotypage mais aussi de leur pouvoir de vivre comme elles l’entendent. Cagole, nf, selon le Larousse « dans le Sud-Est de la France, jeune femme extravertie, un peu écervelée et vulgaire ». Mais aussi : soleil, strass, jouissance et arc-en-ciel.

Arc-en-ciel était le plus beau poisson des océans. Il était magnifique avec ses écailles argentées, multicolores et brillantes. Un petit poisson bleu voulait une de ses écailles. Arc-en-ciel refusa et se retrouva isolé des autres poissons. Il demanda de l’aide à une étoile de mer et une pieuvre. Elles lui dirent que les autres poissons seraient très heureux s’il leur donnait ses écailles. Plus tard, le poisson bleu revient vers lui. Il lui donna une de ses écailles et fit de même avec d’autres jusqu’à n’étinceler plus que d’une seule écaille. Il se retrouva entouré de nouveaux par sa communauté de poissons.
Enfant j’adorais ce livre, le regarder le toucher. Je l’ai lu mille fois. Je ne sais pas ce qui me faisait le plus y revenir entre sa morale et sa beauté tape à l’oeil.
Sur le chemin de l’école primaire, je portais attention à mes mèches à cheveux que je recolorais en bleu pop à la pause déjeuner, à ce que mon jean patte d’éléphant ne traîne pas trop par terre et ne s’abime, à ce que le gloss reste encore un peu sur mes lèvres, à ne pas marcher en canard ou à ne pas mâcher mon chewing-gum comme une vache du haut-plateau ardéchois. J’admirais Lorie, Alizée ou Priscilla que j’écoutais sur mon baladeur-CD. Attendrissante et déjà apprentie nymphette soumise aux beaux yeux des garçons de cm2.
Cette enfant menue blonde aux yeux bleus qui aimait porter des talons, qui voulait être femme si tôt, compter aux yeux du dit-monde. Un monde où Britney, c’est chanter et danser, c’est être dans son corps sans crainte et sans distance, c’est se sentir vivante. (Pour Britney de Louise Chennevière)
A défaut de podium en GRS où j’expérimente le revers de la médaille ; l’humiliation et le contrôle des corps des jeunes filles par la pesée hebdomadaire. Je rêve ailleurs de starification, un ailleurs si lointain que les paillettes en cachent la misère. Je prenais de la place sur l’estrade de la kermesse de fin d’année, le karaoké dans le salon familial chauffait, j’étais fière de mes solos sur l’album CD-ROM de ma classe primaire, je me rendais à mon premier concert aux arènes de Nîmes pour assister à la tournée de la Star Academy, je faisais une colonie de vacances comédie musicale en Aveyron que j’ai pris très sérieusement.
C’était l’éclate en vrai.
Puis l’insulte cagole n’étant jamais bien loin sur les bancs du collège, j’ai progressivement abandonné toute cette pop-culture pour tendre vers une posture plus snob. Je voulais être du côté de la bonne meuf et loin de la bonne mère. Dans le sud-est de la France, la cagole serait une jeune femme extravertie, un peu écervelée et vulgaire (dictionnaire Larousse). Entre la bimbo ultra sexy et une personne clinquante non-bourgeoise qui performe les codes du luxe. Cette bourgeoisie se sentant insultée et menacée, les cagoles sont la cible facile de stigmates misogynes en réaction à leur manière provocante de se présenter et d’afficher leur goût pour la sexualité.
Taille basse, piercings, lunettes de soleil démesurées, strass dentaire dévoilé par sa consommation de chewing-gum, bijoux de corps, nombril à l’air, talons hauts, string qui dépasse, peau cramée par le soleil, blond peroxydé, faux-ongles longs, soutien gorge léopard qui dépasse . Elle attire le regard et intrigue, comme un pouvoir d’attraction. Son hyper-féminité stéréotypé avec un amour propre de bad boy qui transpire et inspire.
Le slut-shaming passé, mon féminisme queer m’amène à une nouvelle forme de fascination, comme pour les écailles flamboyantes d’Arc-en-Ciel. Leur puissance, leur assurance, l’affirmation de leur désir et de leurs goûts, la place qu’elles prennent, leur transgression performative du luxe des plus privilégié.es. C’est comme si la cagole proposait une lutte des classes des temps modernes. Etendard de l’illusions de la beauté « naturelle » tout juste bonne à être associée à celle du féminin blanc universel. Elle épouse le monde du luxe, de l’opulence, de la haute couture, des grands restaurants, des somptueuses villas méditerranéennes. Elle nous invite à complexifier le regard d’un féminisme qui s’empresse de dénoncer la superficialité sous toutes ses formes, pas loin du mépris de classe. Elle refuse la discrétion et sa soit-disant sophistication. Elle ne s’encombre pas de la honte.
Peut-être que cela n’a rien à voir avec de la bien-pensance, et que je suis aussi une fashion victime du retour de la mode des 90’s, une bonne petite soldate du capitalisme et des normes sociales d’appartenance. Je n’ai pas encore succombé à l’uniforme jupe plissée, chaîne de corps, crop top moulant, sac baguette et bottes de cow-girl. Tic tac bling bling.
Je recommence à habiller mes yeux de lumière, et la communauté queer n’y est pas pour rien, bastion des contre-cultures et des transgressions. Créoles imposantes aux oreilles qui se balancent au rythme d’un tube de Britney, je me sens vivante à mon tour.