Par Noa
L’un des exemples de sexisme ordinaire les plus abominables que j’aie jamais entendu, c’est sans doute cette histoire de faire des tests de ceinture de sécurité sur des mannequins masculins par défaut. Et de laisser le potentiel funeste s’accrocher aux pompes des femmes, des meufs, et de tout ce qui sort du spectre “par défaut” si un accident arrive. C’est de ça que parle Noa aujourd’hui. De ça, du “par défaut” funeste, et de son utérus justement.

Je ne sais vraiment pas quand et comment tout a commencé.
J’avais pourtant un diplôme de psychologue en poche. J’aurais pu le savoir, même si ce savoir était situé dans un temps et dans un certain état des connaissances. Une slide lors d’un cours de psychopathologie en licence 3 ne suffit pas.
Ce n’est donc qu’un récit d’errance et d’obstacles que je vous propose là. De ce qui a de plus banal en médecine lorsqu’on est une personne avec ovaires et utérus.
L’année dernière, j’ai reçu le diagnostic médical de trouble dysphorique prémenstruel (TDPM). Si vous ne connaissez pas, c’est normal. Il a été reconnu en 2013 seulement (année de mon entrée en fac de psychologie). C’est un trouble à la croisée de la psychiatrie, de la neurologie et de la gynécologie. Les symptômes apparaissent 1 à 2 semaines avant les règles et disparaissent nettement lors de leur premier jour.
Il se manifeste de bien des manières selon les personnes touchées. Pour ma part, je vis chaque mois de ces périodes d’intense solitude. Je me cache de l’épaisseur du monde, à faire le tri des encombrants, des doutes et des angoisses. La noirceur m’enveloppe. Je suis à fleur de peau à la moindre contrariété. Mes pensées envahissantes m’accablent de tous mes maux et des suivants. Au point de me faire aimer l’hiver et son brouillard, ses jours brefs et lugubres, qui invitent à la cachette plutôt que l’été et ses habituelles extravagances. Une lourde fatigue me cloître chez moi et m’y replie. Chaque nuit ne suffit pas à la diminuer. Mon lit est mon meilleur refuge et je peine à en sortir. Je ne vous parle même pas du travail ces jours-là. La concentration et l’élaboration sont difficiles. La construction de mes phrases est bancale. Je cherche des mots qui ne viennent même pas sur le bout de la langue. Je ne suis que lourdeur et gonflement.
A chaque mois, ses bilans et ses résolutions obsessionnelles, à tout remettre en question. Ce n’est pas propre à janvier ou à septembre. L’auto-critique et l’auto-dépréciation sont mes maîtres. Je m’y débats jusqu’à comprendre que ce n’est plus vraiment moi ni vraiment une autre. Le TDPM s’empare de moi et mon identité vacille. Je m’observe dépersonnalisée et me demande qui suis-je sans, qu’est ce que je loupe ? Je scrute la moindre de mes décisions, je décortique la moindre de mes relations, je reviens sur mes choix et essaye tant bien que mal de ne pas en prendre que je pourrais regretter. Plus rien n’a de saveur ni de sens. A quoi bon finalement ? Je me sens déconnectée de toustes à commencer par moi même.
Et le lendemain plus rien. Une marée rouge libérée de mon entre-jambe sonne la délivrance. Une sortie de tunnel sans phare alors que je me croyais enlisée. La vie peut reprendre son cours comme si rien n’avait été remis en question. Le brouillard s’est dissipé laissant derrière lui une impression cotonneuse. Je m’en extrais confusément et un peu honteuse des jours précédents. La légèreté reprend ses droits jusqu’aux prochains remous qui arriveront bien trop tôt. Sonnée de retrouver le cours des choses, laissée à leur devenir.
Le TDPM ravage tout sur son passage avant de tirer sa révérence chaque mois. Il saccage mon esprit et ma chair. Je suis dépossédée de mon temps et de ses opportunités.
Et combien sommes-nous au juste à nous perdre chaque mois dans un enfer sans nom, abandonné.es par la médecine et des professionnels.les de santé ignorant.es ? Après l’endometriose, le TDPM est une nouvelle preuve que la médecine est sexiste. Dès lors les inégalités sont inévitables.
Cette inconnue logée au creux des personnes avec utérus, que l’on indiffère néglige ignore minimise oublie invisibilise. Nous sommes sous-étudié.es, sous-diagnostiqué.es et sous-traité.es en santé publique, sous représenté.es dans les essais cliniques et pharmaceutiques. Il y a pourtant bien des spécificités de sexe et de genre en médecine. A croire, dans le cas du TDPM, que les fluctuations hormonales du cycle menstruel induisent des variables si difficilement contrôlables que la médecine ne s’y risque pas. Fuit-elle son impuissance, quitte à majorer les risques des concerné.es ?
Nous avons besoin que nos voix comptent et légitiment notre sort. C’est encore aux personnes concernées de faire le boulot de la sensibilisation, de faire entendre l’importance de leur combat quotidien, de leur droit au soulagement et aux soins, à la considération sociétale puis médicale. Et je ne parle pas d’un nouveau numéro vert national s’il vous plaît. Je parle de professionnel.les formé.es au diagnostic et à son accompagnement. Je parle de chercheurs en pharmacie, psychiatrie, gynécologie, neurologie ou psychologie qui se donneraient comme mission d’apporter soins et traitements spécifiques, pour nous apaiser. Et non ce trouble, ce n’est ni une dépression ni un syndrome prémenstruel. Et aussi, faire du sport et manger 5 fruits et légumes par jour ça va deux secondes quand on est au fond de son lit à penser à sa propre finitude.
Sur ce, bonne année et bonne santé surtout !
Pour aller plus loin : association TDPM France