Par Jonas
Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.
Dans sa chronique Tout travail mérite sa laisse, Jonas nous propose une réflexion sur le travail, et c’est d’actualité.
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Mon dernier boulot, c’était prof de ping-pong. Oui, ça me fait encore parfois bizarre de l’écrire mais pourtant…
C’est notamment grâce à ce métier que j’ai commencé à ouvrir les yeux sur les barrières symboliques qu’on essaye de construire entre le salariat et le loisir, entre la passion et le labeur, entre l’argent et le bénévolat. J’ai toujours senti qu’il y a comme un fossé entre ce qui est dur, fatiguant et digne de rémunération face à ce qui est drôle, récréatif et pour lequel on doit même dépenser de l’argent.
Mais alors le travail, c’est quoi au juste?

Son origine déjà, fait débat. De nombreuses sources relèvent le lien avec le terme latin tripalium, un instrument de torture constitué de trois pieux. Bien que savoureuse autant qu’effrayante, cette racine latine est loin de faire l’unanimité chez les historiens comme chez les sociologues.
Plusieurs autres hypothèses sont soulevées sans toutefois arriver à un accord unanime. On évoque notamment le latin trabs qui signifie poutre et pourrait marquer l’action de contraindre.
Le préfixe tra- du latin tran– revient souvent et marque l’idée de passage d’un état à un autre.
Mais le mot anglais travel pourrait aussi venir d’un vieux français marquant là le déplacement ou le fait de faire un effort pour atteindre un résultat.
Marie-Anne Dujarier, sociologue et autrice de Troubles dans le travail, retrace l’utilisation du terme et remarque que jusqu’au 11e siècle, le concept même de travail n’existe pas. C’est donc au début de Moyen-Âge qu’on définit le travail comme étant l’action de faire quelque chose, l’effort, la peine qu’on se donne. Vers la fin du Moyen-Âge (au 14e), le mot va servir à définir le résultat de quelque chose, on dira des artisans qu’ils font du beau travail. Et puis un troisième usage arrive durant le 16e siècle avec l’idée que le travail est synonyme de gagne-pain, d’emploi comme on le confond encore régulièrement. Ces trois usages sont encore la source de nombreux quiproquos.
Marie-Anne Dujarier va notamment se servir des dictionnaires pour analyser l’évolution du mot et si l’on cherche à l’heure actuelle dans le Robert, les deux premières définitions du travail alimentent l’incompréhension, voyez plutôt :
- Période de l’accouchement pendant laquelle se produisent les contractions. Femme en travail. Salle de travail.
- Ensemble des activités humaines organisées, coordonnées en vue de produire ce qui est utile ; activité productive d’une personne. ➙ action, activité, labeur ; travailler. Travail manuel, intellectuel. L’organisation du travail. Avoir du travail.
Une des premières grandes vagues de revendications face au travail et son impact sur la société est effectivement venu de la part des féministes à la suite des mouvements de mai 68. Le travail domestique, comme on le nomme couramment, consiste à s’occuper de la maison et ce, sans la moindre contrepartie financière. On perçoit sans ambiguïté le cœur du problème. Qu’est ce qui est “digne” d’être un travail et qui le décide?
Cette première grande vague de réflexions et de contestations lancée par les femmes et rapidement suivie par les autres minorités, artistes, bénévoles, handicapés, malades, etc. va se prolonger au début de notre siècle suite à la révolution numérique.
Plusieurs nouvelles questions se posent en effet pour arriver à compartimenter le travail et ce qui ne l’est pas. Prenons l’exemple du télétravail, à partir de quand sommes-nous effectivement en train de travailler? Et lorsqu’on parle de nos pratiques, à travers des séminaires ou des temps de discussions, est-ce encore du travail? Plus subtil encore, comment quantifier le travail des robots (et même des animaux) qui, indéniablement, travaillent à nous faciliter la vie? Regardez aussi le rôle des caisses automatiques qui ont supprimé le travail de caissiers pour le déléguer aux machines et aux consommateurs.
Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre de façon tranchée mais qui illustrent la complexité d’un terme fourre-tout qu’on utilise à toutes les sauces.
Faut-il alors bannir le (mot) travail? Questionnement central pour lequel il me semble indispensable d’adopter une attitude quasi schizophrénique qui consisterait à la fois à banaliser le terme et à le sacraliser en même temps!
Sans préconiser une révolution lexicale, je souhaite une société consciente de l’usage du terme, une société qui accepte le travail sous toutes ses formes, sans le confondre avec l’emploi et qui accepte enfin les personnes dont la productivité ne s’affiche pas avec fierté.
Socialement et économiquement, la révolution est en cours, le salariat décline et les auto entrepreneurs en toute sorte cassent les codes sans pourtant bénéficier des avantages garantis aux contrats stables. Si notre modèle prend l’eau, il est peut-être temps de rebâtir un nouveau contrat social qui serait basé, non plus sur le salariat, mais sur la citoyenneté et le rôle que l’on joue dans la société.
Sources
https://www.penserletravailautrement.fr/mf/2016/09/tripalium.html
http://www.travaillermoins.fr/
Pour reprendre Tout travail mérite sa laisse depuis le début :