Redéfinir le travail

Par Jonas

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Dans sa chronique Tout travail mérite sa laisse, Jonas nous propose une réflexion sur le travail, et c’est d’actualité.

__

Mon dernier boulot, c’était prof de ping-pong. Oui, ça me fait encore parfois bizarre de l’écrire mais pourtant… 

C’est notamment grâce à ce métier que j’ai commencé à ouvrir les yeux sur les barrières symboliques qu’on essaye de construire entre le salariat et le loisir, entre la passion et le labeur, entre l’argent et le bénévolat. J’ai toujours senti qu’il y a comme un fossé entre ce qui est dur, fatiguant et digne de rémunération face à ce qui est drôle, récréatif et pour lequel on doit même dépenser de l’argent. 

Mais alors le travail, c’est quoi au juste? 

Son origine déjà, fait débat. De nombreuses sources relèvent le lien avec le terme latin tripalium, un instrument de torture constitué de trois pieux. Bien que savoureuse autant qu’effrayante, cette racine latine est loin de faire l’unanimité chez les historiens comme chez les sociologues.
Plusieurs autres hypothèses sont soulevées sans toutefois arriver à un accord unanime. On évoque notamment le latin trabs qui signifie poutre et pourrait marquer l’action de contraindre. 

Le préfixe tra- du latin tran– revient souvent et marque l’idée de passage d’un état à un autre.
Mais le mot anglais travel pourrait aussi venir d’un vieux français marquant là le déplacement ou le fait de faire un effort pour atteindre un résultat.

Marie-Anne Dujarier, sociologue et autrice de Troubles dans le travail, retrace l’utilisation du terme et remarque que jusqu’au 11e siècle, le concept même de travail n’existe pas. C’est donc au début de Moyen-Âge qu’on définit le travail comme étant l’action de faire quelque chose, l’effort, la peine qu’on se donne. Vers la fin du Moyen-Âge (au 14e), le mot va servir à définir le résultat de quelque chose, on dira des artisans qu’ils font du beau travail. Et puis un troisième usage arrive durant le 16e siècle avec l’idée que le travail est synonyme de gagne-pain, d’emploi comme on le confond encore régulièrement. Ces trois usages sont encore la source de nombreux quiproquos.

Marie-Anne Dujarier va notamment se servir des dictionnaires pour analyser l’évolution du mot et si l’on cherche à l’heure actuelle dans le Robert, les deux premières définitions du travail alimentent l’incompréhension, voyez plutôt : 

  1. Période de l’accouchement pendant laquelle se produisent les contractions. Femme en travail. Salle de travail. 
  2. Ensemble des activités humaines organisées, coordonnées en vue de produire ce qui est utile ; activité productive d’une personne. ➙ action, activité, labeur ; travailler. Travail manuel, intellectuel. L’organisation du travail. Avoir du travail.

Une des premières grandes vagues de revendications face au travail et son impact sur la société est effectivement venu de la part des féministes à la suite des mouvements de mai 68. Le travail domestique, comme on le nomme couramment, consiste à s’occuper de la maison et ce, sans la moindre contrepartie financière. On perçoit sans ambiguïté le cœur du problème. Qu’est ce qui est “digne” d’être un travail et qui le décide? 

Cette première grande vague de réflexions et de contestations lancée par les femmes et rapidement suivie par les autres minorités, artistes, bénévoles, handicapés, malades, etc. va se prolonger au début de notre siècle suite à la révolution numérique. 

Plusieurs nouvelles questions se posent en effet pour arriver à compartimenter le travail et ce qui ne l’est pas. Prenons l’exemple du télétravail, à partir de quand sommes-nous effectivement en train de travailler? Et lorsqu’on parle de nos pratiques, à travers des séminaires ou des temps de discussions, est-ce encore du travail? Plus subtil encore, comment quantifier le travail des robots (et même des animaux) qui, indéniablement, travaillent à nous faciliter la vie? Regardez aussi le rôle des caisses automatiques qui ont supprimé le travail de caissiers pour le déléguer aux machines et aux consommateurs.

Autant de questions auxquelles il est impossible de répondre de façon tranchée mais qui illustrent la complexité d’un terme fourre-tout qu’on utilise à toutes les sauces.

Faut-il alors bannir le (mot) travail? Questionnement central pour lequel il me semble indispensable d’adopter une attitude quasi schizophrénique qui consisterait à la fois à banaliser le terme et à le sacraliser en même temps! 

Sans préconiser une révolution lexicale, je souhaite une société consciente de l’usage du terme, une société qui accepte le travail sous toutes ses formes, sans le confondre avec l’emploi et qui accepte enfin les personnes dont la productivité ne s’affiche pas avec fierté. 

Socialement et économiquement, la révolution est en cours, le salariat décline et les auto entrepreneurs en toute sorte cassent les codes sans pourtant bénéficier des avantages garantis aux contrats stables. Si notre modèle prend l’eau, il est peut-être temps de rebâtir un nouveau contrat social qui serait basé, non plus sur le salariat, mais sur la citoyenneté et le rôle que l’on joue dans la société.



Sources

https://www.penserletravailautrement.fr/mf/2016/09/tripalium.html

https://blogs.mediapart.fr/flebas/blog/240316/l-arnaque-de-l-etymologie-du-mot-travail?fbclid=IwAR1UBsqWCCvzaXgrsDmCY7UnyIzSm3Wxy-bvsfpJ0msoKfY1p5h4XifHWJk

http://www.travaillermoins.fr/

Pour reprendre Tout travail mérite sa laisse depuis le début :

Le salariat : de la Révolution Industrielle à nos jours (2/2)

Par Jonas

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Tout travail mérite sa laisse est une chronique régulière pour penser le travail, orchestrée par Jonas.

Aujourd’hui, la suite de ce premier bout d’histoire dans le précédent billet.

Steve Cutts, Happiness

À travers ce billet, je propose une plongée historique pour prendre un peu de recul et je reçois des remarques soulignant que cette mise en perspective devrait s’appliquer de manière géographique et pas uniquement temporelle. Il est crucial en effet de souligner que les droits acquis en France sont très loin d’être appliqués partout. Dans les pays “en voie de développement”, les notions de protection sociale, droit au chômage, école pour tous, etc., sont encore souvent inexistantes. Si dans mes recherches, j’ai choisi de m’axer sur ma réalité occidentale, je ne peux ignorer que la lutte continue et doit continuer PARTOUT pour s’émanciper de la violence productiviste. 

Ceci étant dit, comprendre et connaître le passé permet de se projeter dans le futur et dans l’ailleurs. Je reprends donc le fil de l’histoire, au lendemain de mai 1936 alors que la semaine de 40 heures venait d’être instaurée en France. Et dans la foulée des bouleversements de 1936, la loi du 24 juin va fournir un cadre juridique et légal à la signature des conventions collectives. Les syndicats, patronaux et ouvriers, acquièrent alors un véritable rôle dans l’écriture du droit. 

Suite à la Seconde Guerre mondiale, les transferts de technologies de l’industrie militaire vers l’industrie civile vont générer d’importants gains de productivité. Cette productivité va offrir du temps aux ouvriers mais, paradoxalement, va les aliéner au travail en leur proposant une quantité énorme de produits à acheter. C’est le début des Trente Glorieuses, trente ans de croissance et de consommation à tout va pour suivre les nouveaux besoins d’une population active qui augmente rapidement. C’est le début de la consommation de masse et de la société des loisirs. La loi de mars 1956 décrète trois semaines de congés payés et celle de mai 1969 y ajoutera une quatrième semaine.

Cet après-guerre marque d’autres progrès incontestables comme l’établissement d’un plan de retraite unifiée. La première caisse de retraite des fonctionnaires de l’État avait été mise en place en 1790, aux lendemains de la Révolution mais avant 1930, aucun employé du secteur privé ne bénéficiait encore d’une pension de retraite. C’est le 19 octobre 1945 qu’un système de protection sociale global comprenant la retraite est mis en place et sert encore de référence à notre système actuel. À cette époque, l’âge légal pour le départ en retraite est fixé à 65 ans.

En février 1950, une loi crée le SMIG, le Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti. Ce SMIG (qui deviendra en 1970 le SMIC, C pour Croissance) garantit à chaque salarié un revenu minimum. 

C’est en 1958 que, pour la première fois, un salarié ayant perdu son travail a le droit à un revenu de compensation. Dans une période de relatif plein emploi, ce « régime d’allocations spéciales aux travailleurs sans emploi » a déjà vocation à verser aux salariés au chômage un revenu de remplacement (une allocation) et à les accompagner face aux transformations du marché du travail.

Mai 68 marque une mobilisation considérable et notamment sur les questions du travail. Des millions de grévistes prennent les rues et réclament des droits plus justes. Les salaires augmenteront de 10% et le montant du SMIC augmentera de 25%.
La décennie suivante sera pourtant celle du doute, le chômage de masse s’est installé et les politiques néo-libérales vont s’affirmer aux Etats-Unis et en Angleterre. 

En France, la gauche exulte et voit François Mitterrand devenir président en 1982. Il ramène l’âge légal de la retraite à 60 ans, diminue la semaine de travail à 39 heures et instaure une cinquième semaine de congés payés.


Les années 90 marquent un retour un arrière sous couvert d’une plus grande flexibilité au travail. Le gouvernement diminue les pensions et allonge le temps de travail en 1993 avec la notion d’annualisation du temps de travail. Et la loi Robien de 1996 permet une réduction du temps de travail pour ce qui aurait pu être un vrai bouleversement et l’instauration de la semaine de quatre jours (on y reviendra).
Mais au lieu du bouleversement, la loi Aubry de juin 1998 fixe la durée légale à 35 heures hebdomadaires et abroge la loi de 1996 alors que la France compte pour la première fois plus de trois millions de chômeurs. C’est à partir de cette époque et l’entrée dans le nouveau millénaire qu’on instaure la notion de travail effectif et le fait de pointer pour aller aux toilettes ou prendre ses pauses. 

Depuis, c’est un retour en arrière caché sous le terme de “progrès”. En 2003, on introduit encore plus de flexibilité au travail et les 35 heures semblent une lointaine chimère. Les contrats courts se multiplient, les mouvements sociaux et les syndicats sont de moins en moins soutenus, les intérimaires et les travailleurs précaires se battent pour un travail et non plus pour leurs droits. L’uberisation de notre société marque le retour du travail à la tâche et la disparition des aides et de la sécurité de l’emploi.
Le monde bouge à toute vitesse, tangue plus souvent qu’à son tour et l’avenir du travail est, au mieux, incertain, au pire, angoissant. En prendre conscience, c’est déjà agir. Il y a des tonnes de documentations sur la question, prenez le temps de vous informer et n’hésitez pas à partager vos retours en commentaires.

Sources :

Une histoire du salariat. De 1945 à aujourd’hui

L’histoire des retraites

Emplois, chômage, statuts et métiers 1949-2017 A propos de quelques évolutions structurelles remarquables. 

Le salariat : de la Révolution Industrielle à nos jours (I/2)

Par Jonas

Cette saison, l’équipe de rédaction de Motus s’est étoffée. Nous n’avons pas vocation à être un journal tout court, mais davantage un journal intime de notre société. Au fil des jours, nous vous proposons donc de plonger dans les réflexions de cette génération qui navigue dans un monde bouleversé, et qui a fait du questionnement son mot d’ordre. Ces chroniques sont des points de vue sur le monde, elles reflètent donc la subjectivité de leurs auteurs et autrices. Elles se veulent intimes, pour regarder les grandes questions par le petit trou de la serrure.

Tout travail mérite sa laisse est une chronique régulière pour penser le travail, orchestrée par Jonas. Aujourd’hui, un peu d’histoire.

Je fais partie de la génération Y, celle d’après la chute du mur de Berlin, élevée dans l’opulence d’un bloc occidental dominant et loin des conflits armés du siècle dernier. Pourtant, cette génération est peut-être aussi la première pour qui la vie sera plus complexe que celle de ses parents. Dans un monde en perte de repères, face à l’effondrement écologique en cours, je me pose énormément de questions. 

Et souvent, je regarde le passé les yeux écarquillés, tant tout a changé si rapidement. Les premiers portables n’ont pas trente ans, Internet a globalement mon âge, la télévision couleur est arrivée quand mes parents étaient ados, bref ce qui nous représente une part considérable de notre temps libre n’existait tout bonnement pas il y a cinquante ans. 

Et le travail dans tout ça? Si les progrès technologiques ont largement contribué à diminuer notre temps de labeur, force est de constater que cette évolution n’est pas linéaire ni même à sens unique. 

Je vous propose de retracer de manière synthétique les grandes étapes du travail en France. 

Ce billet en deux parties doit beaucoup à cet article, lui-même issu du livre « En finir avec le chômage : un choix de société ! », de Jean-Christophe Giuliani.


Historiquement, le travail n’a jamais été dissocié de la vie courante. Tout le monde s’y mettait, il fallait se nourrir, se chauffer, se loger et les loisirs n’étaient tout simplement pas imaginables pour le commun des mortels. Pendant des millénaires, la vie était traversée comme une épreuve somme toute assez pénible où la survie était le lot quotidien. Il y a deux cent ans, la moyenne d’âge en France était seulement de 39 ans et les décès enfantins étaient monnaie courante. Seule une élite a eu la possibilité de s’extraire du travail en faisant travailler les masses pour elle. Depuis le Néolithique et la sédentarisation de l’humanité, les “forts” se sont accaparés les richesses (nourriture, parure, vêtements, bijoux puis plus tard maisons, villages, pays) avec la force de travail des “faibles”.

Et ces inégalités ont grossi au fil des siècles et des millénaires jusqu’à exploser depuis deux cent ans avec la rupture brutale qu’a constitué la Révolution Industrielle. C’est donc à ce moment que la notion même du travail va commencer à prendre sa forme actuelle. Les propriétaires d’usine ont besoin de main-d’œuvre et vont déloger les paysans des champs car en 1840, tout le monde travaillait 14h/jour, 7 jours sur 7, soit 98 heures par semaine et 75% de la population travaillait dans l’agriculture. 

Arrive alors en 1841 la première loi s’inquiétant des travailleurs avec l’interdiction du travail aux enfants de moins de 8 ans, puis en 1874, on élargit la loi en laissant “tranquille” les enfants jusqu’à 12 ans. Puis en 1882, la loi Jules Ferry rend l’école obligatoire de 6 à 12 ans, offrant, sous le couvert d’une école gratuite pour tous, une main-d’œuvre qualifiée aux entreprises. Les jeunes apprennent à lire, écrire et compter mais se familiarisent en même temps aux valeurs de travail, d’effort, de discipline, de ponctualité et de respect de l’autorité.

Après presque vingt ans de discussions parlementaires, c’est en 1989 que le premier droit social va enfin être obtenu. En effet, les accidents du travail sont reconnus (dans une certaine mesure, n’exagérons rien) comme étant de la responsabilité du chef d’entreprise. Pour remettre dans le contexte, si, à l’époque, vous tombiez de votre échelle en construisant une maison, c’était l’oubli et aucun revenu le temps de votre arrêt.

Le 13 juillet 1906, la loi sur le repos hebdomadaire est promulguée. Elle accorde à tous les ouvriers et les employés un repos de 24h après six jours de travail. La France est un des derniers pays d’Europe à instaurer une telle loi. Il est également décidé qu’une journée de travail ne pouvait durer plus de 10 heures. Bonheur donc, la semaine de travail de l’époque passe officiellement à 60 heures.

L’origine de la fête du 1er mai étant des manifestations pour la journée de 8 heures qui a finalement été votée au sortir de la guerre, le 23 avril 1919. Aux Etats-Unis, c’est depuis le 1er mai 1884 que la journée de 8 heures est de vigueur. Craignant une révolution sociale à l’approche du 1er mai, le gouvernement Clemenceau fit voter la loi fin avril, ce qui permet à la classe ouvrière d’obtenir un peu de temps libre, de vie sociale et familiale après la journée de travail.

Profitant de la crise économique qui touche le monde depuis le krach boursier de 1929, les grands partis de gauche s’unissent et remportent les élections de 1936. A l’issue de cette victoire, dans un mouvement d’allégresse, des grèves se multiplient partout en France, avec de nombreuses occupations d’usines. Près de 3 millions de grévistes sont recensés. A la suite des élections, une série de réformes sont votées, dont deux chamboulent l’histoire du travail en France : deux semaines de congés payés pour tous les salariés et la semaine de 40 heures (soit deux jours de congé hebdomadaire) sans diminution de salaire.

Grosso modo, en moins de cent ans, nous avons donc réussi à réduire le temps de travail de 250%. Et vous noterez aisément que, depuis moins d’un siècle, cette évolution a globalement stagné. Que s’est-il passé? Quelles étapes ont marqué notre histoire contemporaine? Je tenterai de vous expliquer ça dans le prochain épisode (sortie le …).


Un film : Modern Times
Une BD : Le choix du chômage

Une artiste : Manon Aubry

Et quelques sources :

Une histoire du salariat – 19ème siècle – un travail sans contrat de travail

Une histoire du salariat – Du salaire aux pièces au salaire au temps

Les dix dates clés de l’histoire du travail

Depuis quand les riches dominent les pauvres?

Réflexions d’un gars lassé par le salariat 

Par Jonas

[Précision de taille : je suis artiste, pas économiste ou historien, idéaliste sans aucun doute, décroissant très probablement et dans cette chronique, je vais essayer de vulgariser et de parler selon mon prisme personnel. J’ai lu, regardé, écouté pas mal de choses sur le sujet mais il est sûr que ce n’est pas un essai exhaustif ni la volonté de faire le tour de la question. C’est une tentative de réflexion et je suis preneur de vos retours, opinions, savoirs,… pour qu’on puisse réfléchir ensemble à un modèle de société plus juste et plus épanouissant pour toutes et tous.]

Constant failure. Young man spilled drink on the keyboard while working and trying to wake up. Drinking a lot of coffee. Concept of office worker’s troubles, business, problems and stress.

Salut! 

Moi c’est Jonas, c’est mon premier texte pour Motus et si j’en arrive à écrire cette chronique ici, c’est notamment parce que j’ai le temps. Aussi parce que j’aime bien écrire, que j’ai à ma disposition un ordinateur, une connexion internet, un lieu chauffé pour l’utiliser, de l’électricité en permanence et pas bien chère mais breeeeef. 

J’ai le temps.

J’ai le temps puisqu’en octobre, j’ai terminé mes deux ans de chômage après presque une décennie de travail. Et plutôt que de retourner dans le monde sérieux du salariat, j’ai décidé d’affronter la précarité de l’artiste au RSA. 

J’ai le temps donc. Et avec ces nombreuses heures qui me sont offertes, libres et improductives, j’ai décidé de me questionner sur ce qui, d’ordinaire, nous accapare 10% de notre vie : le travail. C’est que, une vie dure en moyenne 700.000 heures dont 67.000 sont consacrées au travail, 30.000 aux études (et, tant qu’on est dans les chiffres, 200.000 au sommeil!) ce qui n’est, vous en conviendrez, pas rien. Ayons l’honnêteté de dire que c’est tout de même beaucoup moins qu’il y a un siècle certes où le travail constituait l’écrasante majorité de la vie d’une écrasante majorité de gens.

Pourtant, depuis le début de la révolution industrielle (le 19ème siècle, pas si long ago à l’échelle de notre Histoire), on nous promet un avenir radieux à coups d’évolutions technologiques, de machines pour remplacer l’humain et un labeur de moins en moins pénible. Keynes, pas le moins célèbre des économistes, a même eu cette vision prophétique il y a presque un siècle : on travaillera seulement 15 heures par semaine en 2030.
Mais alors qu’on approche de la date tant espérée, le salaire minimal peine à décoller, on nous parle de nous serrer la ceinture, l’âge du départ à la retraite est bien parti pour reculer sur le quinquennat de Macron (qui affirma sans faux semblant sur France 2 il y a peu “ Si on veut réussir, si on veut avancer, on n’a pas d’autre choix que de travailler davantage”).

Et ce discours prend place alors que de plus en plus de personnes refusent le travail indigne et essayent de tenir tête à une précarité persistante. La vague de grèves du secteur pétrolier qui a secoué l’actualité a mis en lumière un phénomène particulièrement vicieux : ce sont toujours les emplois les plus indispensables qu’on tord jusqu’à l’épuisement. On l’a vu avec le secteur des soins pendant le Covid, avec les instituteurs et institutrices en conflit ouvert et permanent avec l’Education Nationale depuis des années. Alors que par un stratagème f(i)lou, les riches patrons, propriétaires multiples, stars en paillettes et divas sur crampons s’en foutent plein les poches sans la moindre retenue.

Vous vous en doutez, le chantier est vaste et votre attention limitée, je vais donc essayer de séquencer mon propos et de vous offrir mensuellement une chronique qui traitera de la question du travail en sortant de l’idéologie dominante du métro-boulot-dodo qui se fissure de toutes parts.
Je vous donne alors rendez-vous dès janvier pour le premier numéro qui retracera les grandes lignes de l’histoire du travail.

PS : chaque mois, quelques liens pour approfondir le sujet avec des concepts et des théories plus complètes : 

Un livre : “Paresse pour tous” de Hadrien Klent

Une (ou plusieurs) vidéo(s) : ABC Penser 

Un podcast : Travail en cours “Où est passé le temps libre?” 

Bénévoles, jusqu’où ?

Photo de RODNAE Productions sur Pexels.com

Aujourd’hui, comme depuis 1985 et une décision de l’ONU, c’est la journée mondiale du bénévolat. Le bénévolat, d’après Le Robert, désigne la situation d’une personne qui accomplit un travail gratuit, sans y être obligée. En France, on en compte, d’après les chiffres du gouvernement en 2021, 12,5 millions. Oui, ça fait pas mal. Un Français sur 4, en fait. Et parmi eux, « un peu plus de un français sur dix, soit entre 5.2 et 5.4 millions de personnes, agissent sur un mode hebdomadaire et constituent la colonne vertébrale des associations. Plus de 85% des associations françaises sont gérées exclusivement par des bénévoles. »

Chez Motus, nous fonctionnons aussi avec des bénévoles (et les meilleur·es <3). Iels participent à la vie du média sous tous ses aspects. Et c’est génial.

Mais tout ça pose quand même quelques questions :

  • où s’arrête le bénévolat et où commence le travail salarié déguisé ?
  • comment établir et nourrir des relations égalitaires sans les cadres « capitalistes » auxquels nous sommes habitué·es et où la rémunération et les fiches de postes régulent nos rapports ?
  • comment prôner une société d’entraide et de rapports gratuits sans renforcer la domination qui écrase déjà les personnes précaires, et tirer des marchés vers le bas ?

Dans toutes ces questions, que nous explorons comme beaucoup d’autres structures, s’entrechoquent la volonté de construire une société plus solidaire, où tout n’est pas marchandisé, et la nécessité de rémunérer correctement le travail, et de permettre à tous et toutes de vivre sereinement.

Voici quelques pistes de réflexion :

  • être clair·e sur les attentes et les besoins des deux côtés, même si aucun contrat ne nous lie, tout le monde se protège en évitant les incompréhensions ou les attentes démesurées
  • valoriser le temps et l’engagement bénévole par des moyens non marchands (toujours remercier, apporter de la considération, du temps en retour, des moments de partages, des cadeaux non matériels,…)
  • organiser des moments de discussion privilégiés autour du travail bénévole, pour une approche transparente et hors de rapports hiérarchiques, où les paroles peuvent s’exprimer
  • Adapter les structures constamment face aux retours des bénévoles (et non l’inverse :))
  • Laisser libres les portes de sortie : toujours explicitement rappeler que l’engagement ne doit pas être contraint, sous aucune circonstance
  • Réfléchir au sens du bénévolat pour l’organisation : pourquoi ai-je besoin de bénévoles ? pourquoi ai-je écarté la piste salariée ?

Les contraintes financières pèsent aussi sur les prises de décisions. Le raisonnement « bénévolat = exploitation » stigmatise de fait les petites organisations, et les personnes plus précaires qui n’ont pas d’autre choix que de s’organiser hors des rapports marchands, en privilégiant des valeurs d’entraide et de solidarité pour des projets qui font sens et qui nourrissent également les bénévoles. Accordons-nous sur le fait que ces valeurs sont d’ailleurs celles que nous avons urgemment besoin de développer dans notre société, aujourd’hui. Le problème n’est donc pas le bénévolat en soi, mais le pourquoi, et le comment. Frayons-nous un chemin éthique, digne et porteur au milieu de tous ces points d’interrogations!