Turbulence #4 – Un monde à facettes

Par Laura

Photographie par Erik Eastman sur Unsplash

Comme vous le savez, pour celleux qui m’ont déjà lue, il y a quelques mois, fatiguée de Paris, j’ai pris mes clics et mes clacs et je suis partie à Madrid en quête d’une vie plus épanouie. Oublié le français, bonjour l’anglais et l’espagnol. Mais en partant aussi proche de mon pays d’origine, je ne m’attendais pas à subir un choc culturel et à découvrir une autre facette du monde. Laissez-moi vous expliquer.

Déjà remettons le contexte :

J’ai grandi en banlieue parisienne, dans une famille plutôt de la classe moyenne supérieure et ai fréquenté des établissements d’enseignement publics jouissant d’une grande diversité culturelle et sociale. Quatrième génération d’immigrés venus en France, malgré le fait que la culture originelle de ma famille s’est bien diluée depuis leur arrivée, j’ai tout de même grandi entre la culture française, la culture juive ashkénaze et l’héritage de la Shoah.

Une fois arrivée dans ma vie d’adulte, mon environnement a bien changé… Ayant fréquenté une université sélective élitiste puis une école de communication privée, on ne peut pas vraiment dire qu’il y avait une grande diversité sociale et culturelle… Mais il m’a fallu débarquer à Madrid et rencontrer des personnes de multiples origines pour me rendre compte que pendant toutes ces années, j’avais été enfermée dans un entre-soi. Et pourtant, il y a 6 ans, j’avais déjà empoigné mon sac-à-dos pour aller découvrir une autre réalité en Asie. Mais entre-temps, mon sens critique et mon opinion se sont affûtés, radicalisés et politisés, me donnant accès à une toute autre clé de lecture.

Retour à Madrid :

Au gré de mes pérégrinations madrilènes, je rencontre et découvre les histoires des personnes du monde entier, issues de pays que je n’avais jusqu’ici pas ou peu eu l’occasion de rencontrer. Notamment, espagnol oblige, d’Amérique du Sud. Germe alors une prise de conscience. Nombre de ces personnes ont grandi dans des pays qui ont souffert de la colonisation et qui souffrent aujourd’hui d’instabilité économique, politique, de corruption, de grande insécurité etc. Par exemple, une camarade brésilienne nous racontait qu’au Brésil, les habitant.e.s jouissent d’une nature luxuriante produisant de délicieux produits, produits qui sont principalement réservés à l’exportation et dont iels ne peuvent pas profiter ,se retrouvant à devoir consommer des aliments de piètre qualité.

Tous ces échanges me font réaliser à quel point mon pays et toutes les nations occidentales se sont construites à travers une stratégie de prédation des ressources d’autres pays et notamment de leurs colonies – que leur développement, et de fait mon développement, s’est fait au détriment d’autres pays, d’autres humain·es qui méritaient tout autant de pouvoir profiter de ces ressources, voire plus puisque ce sont leurs terres. Cela passe par les ressources alimentaires, mais également par les ressources financières et le pouvoir politique de mon pays d’origine qui m’ont permis en grandissant d’avoir accès à tout un tas de services tels qu’une éducation de qualité gratuite, un système de santé en partie remboursé, des aides au logement, des aides en cas d’inactivité salariale… Certains privilèges dont je n’appréciais pas encore totalement la rareté, la valeur mais surtout l’origine frauduleuse prenant racine dans l’oppression d’autres êtres humains.

Je me souviens qu’à l’école on nous apprend, qu’un jour notre pays et d’autres ont décidé d’envahir certains pays et de les coloniser. On nous raconte d’une manière sûrement très biaisée et partielle, les ravages qu’ont fait les guerres et démarches qui ont mené à la décolonisation. Quand on y pense, ces faits historiques sont empreints d’une extrême violence, mais je n’ai pas souvenir qu’on me les ai transmis de façon à ce que je me rende compte de leur horreur. De plus, en tant qu’enfant ou adolescente je ne me rendais pas bien compte de ce que cela impliquait concrètement et je me disais sûrement que tout cela n’était que du passé. Enfermée dans ma facette du monde, j’étais à mille lieues de questionner l’Histoire que l’on nous racontait, mes priorités étaient tout autre : attendre avec hâte que la cloche sonne pour aller courir dans la cour ou me concentrer sur l’échéance du BAC qui arrive à grand pas.

Mais aujourd’hui, ces enseignements ont pris une tout autre perspective, une perspective réelle et humaine et ont totalement changé ma lecture du monde. J’ai avalé la pilule rouge et je ne peux plus revenir en arrière… Je ne peux plus fermer les yeux devant le racisme ambiant et hypocrite qui gangrène mon pays (et malheureusement en Espagne ce n’est pas mieux, voire pire…). Je ne peux pas comprendre et accepter qu’on ait colonisé des terres, qu’on en ait extrait des peuples pour qu’iels nous aident à reconstruire notre pays dans l’après-guerre, mais qu’une fois leur ressource travail utilisée, on les remercie par un racisme systémique et les saluent par un “Rentre chez toi!”. Et je comprends la colère du personnage principal du film Athena de Romain Gavras suite à l’assassinat de son frère et à la stigmatisation constante qu’il a dû subir en grandissant (très beau film sur les émeutes des banlieues, faisant écho à l’assassinat de Nahel, avant même qu’il ne soit perpetré, mais très critiqué pour le message politique qu’il fait passé). Moi aussi je serais en colère, si depuis ma plus tendre enfance, j’avais subi des micro-agressions continues liées à mes origines ou mon faciès, si on m’avait constamment fait sentir que je n’avais pas ma place ici.

Des voix se font de plus en plus entendre sur ces sujets, notamment dans les mouvements décoloniaux que je vous invite à suivre. Ces discours avaient déjà attiré mon attention à l’heure où l’on se rendait compte de l’horreur qui se passait à Gaza. Il faut dire qu’entre la Russie qui essaye de grignoter l’Ukraine, l’Israël qui s’installe sur les territoires palestiniens et décime ses populations et la Chine qui zieute Taïwan, il semblerait que la colonisation soit un sujet tout à fait d’actualité… N’étant pas géopoliticienne, je vais m’arrêter ici, je voulais simplement vous partager mon ressenti et la turbulence que ça a occasionné chez moi. Si vous voulez creuser sur le sujet, je vous redirige directement vers des personnes directement concernées et vous invite à suivre des chaînes comme celle d’Histoires crépues par exemple, pour découvrir l’autre facette de la colonisation.

Je sais qu’on dit que briser un miroir cause sept ans de malheur, mais assise devant ces éclats divergents, pour rien au monde je reviendrai à mon reflet unique et je compte bien continuer à collecter d’autres bris de regards pour façonner mon monde à facettes.

———

Turbulences, ce sont les chroniques d’une femme cis blanche “privilégiée” hypersensible qui décide de s’emparer et de décortiquer les turbulences sociétales et personnelles qui la bousculent. Un petit plongeon dans l’œil de la tempête pour un grand bain de prises de tête.

Laisser un commentaire