Par Noa
La journée internationale de la danse nous arrive dessus à grande allure. Danser. Ça sonne bien, mais ça peut être aussi synonyme de restrictions des corps, de normes écrasantes et de sourires crispés. Des trauma de génération de petites filles. Oui mais seulement danser, comme le pointe Noa dans ce billet, c’est aussi une liberté qui donne le vertige. Celle de se remettre à habiter son corps, et y être chez soi. Une certaine forme de militantisme...
« Si je ne peux pas danser, ce n’est pas ma révolution », cette phrase d’Emma Goldman m’a fait valser ces dernières années de militantisme.
Comme beaucoup de petites filles blanches en France, j’ai fait de la danse moderne-jazz en activité extra-scolaire. Je me suis essayée à la danse classique, et j’ai fait deux ans de gymnastique rythmique et sportive aka GRS. J’étais franchement pas très douée, j’aimais pourtant beaucoup ça malgré l’exigence et le contrôle des corps de la discipline. J’adorais les paillettes, l’omniprésence de Diddle comme mascotte informelle et les justaucorps trop mims. J’avais notamment un solo au cerceau sur Moi… Lolita de Alizée… gênant. C’était aussi les débuts de la Star Academy dont j’étais totalement fan. Je rêvais de suivre les cours de Kamel Ouali qui faisait des chorégraphies trop fresh. Et pour me rapprocher de mes rêves de starification, j’avais la chance de créer et enregistrer un album avec ma classe de CM2, ou de danser sur l’estrade de la kermesse de fin d’année. Je prenais ça très au sérieux. Forcément, la première colonie que j’ai choisi de faire à 12 ans, nous devions créer notre propre comédie musicale en trois semaines. Demandez-moi le DVD collector, si ça vous intéresse. A l’époque, il était beaucoup plus courant d’allier la danse à la chanson. Lorie comme Britney Spears le faisaient très bien.
Dans ma famille, les femmes ont, en toute humilité, le rythme dans la peau. Il nous faut peu de temps pour être sur la piste de danse et s’y mettre en mouvement quitte à faire n’importe quoi, on s’en fout royalement. J’ai de nombreux souvenirs de soirées dansantes finissant au petit matin avec une soupe à l’oignon. Miam.
Les années passant, je me suis éloignée de cette première passion, laissant place aux dramas adolescents. J’y suis revenue quelques fois, davantage pour passer du temps entre copines ou pour me faire remarquer par les garçons, que pour kiffer le moment. Je vous épargne l’anecdote de l’anniversaire de Simon où je danse sur les Blacks Eyed Peas comme les Pussycat Dolls, dans l’espoir de pécho Arthur. A 14 ans, on ne maîtrise pas tout que voulez-vous. Je pourrais aussi raconter mes sorties en boite de nuit perdue en pleine garrigue, après avoir fait le mur et pris un taxi avec mon argent de poche. Les années Tchouk tchouk musik de Priscilla étaient déjà loin…
Vous l’avez compris, qu’importe mes motivations, j’aime danser et ça ne date pas d’hier. Les milieux féministes et queers dans lesquels j’ai évolué ces dernières années n’ont fait que le renforcer. Notamment, en m’initiant à la mixité choisie sans mecs cis et/ou hétéro. Ce détail là n’a rien d’anodin, il m’a permis de regoûter à la liberté de mouvement avec moins de comportements oppressifs qu’en milieu hétérosexuel. Je peux me laisser aller à la musique sans craindre une main baladeuse ou un forceur qui arrive par derrière sans mon consentement et me colle pour danser. Danser pour danser, et non danser pour draguer. Je ferme les yeux, le sourire aux lèvres et plus rien ne compte. Boum boum boum.
Pendant le premier confinement covidien, je me revois aller régulièrement sur un terrain de sport en plein air, danser danser danser. C’était une telle sensation de liberté et de défoulement ! A la sortie des confinements et au retour de notre normalité, j’ai eu le besoin de faire corps et de me reconnecter à des sensations essentiellement physiques. Je venais de traverser une forme de paralysie et j’avais fort besoin de mouvements libres. Revenir au corps, l’honorer et lui consacrer du temps. Extérioriser tout ce qu’il endure. La course à pied ne marchait pas, ni tout type de sport compétitif. Et dans ma ville de domiciliation, privé de club ou de lieu de la nuit digne de ce nom, je me sentais orpheline à cet endroit. Sortir sous les étoiles avait moins de saveur. J’ai donc fini par m’inscrire à un cours de danse contemporaine sans spectacle de fin d’année. C’est une activité victime d’a priori, à tort et à raison. Moi-même, lors de mes cours de théâtre d’improvisation à l’université, j’étais assez douée pour performer son absurdité, son snobisme et son côté hors sol. La danse contemporaine, proche du classique, est historiquement blanche et bourgeoise, avec son langage, ses codes et ses références culturelles. Lors d’une représentation, il est facile de se sentir décalé.e, en dehors de l’intention artistique. Ne rien capter en somme. C’est un langage qui se pratique et se ressent. Avec le temps, l’exposition et la patience, il devient de plus en plus familier. Dans cette danse, il n’y a pas de sous-mouvement, tout peut devenir un geste chorégraphié. C’est une grande liberté qui peut donner le vertige. Une diversité de corps y est représentée, la fluidité de genre est valorisée. La compagnie (La) Horde du ballet national de Marseille en est un superbe exemple. Son esprit queer et inclusif bouscule les codes de la danse. Le corps y est proclamé politique.
Cela fait maintenant trois ans que je me rends chaque semaine à mon cours de danse contemporaine. Cet endroit m’offre une bulle spatio-temporelle où plus rien ne compte en dehors de la danse. Je pose mon cerveau derrière la porte du studio. C’est un ressourcement qui se nourrit du cirque, du théâtre, des ressentis émotionnels et corporels, de l’improvisation, des pulsions rythmiques. Nous n’avons pas le choix d’être entièrement présent.e à soi, au groupe, à l’espace et à la musique. C’est une disparition temporaire au monde, active dans le mouvement. Rien n’est à produire. Nous sommes juste des corps inutiles qui gigotent pour la beauté du geste et leur plaisir. Des corps qui occupent leur espace, creusent leur place, et peuvent sortir de l’esthétique et du désirable si cela leur chante. Nous sommes beaucoup au sol, à se traîner par terre, ou à faire des sauts, des grimaces, des cris, à sublimer nos sens. Une diversité de mouvements, presque un retour en enfance où bouger devient un jeu sans grand enjeu. Un discours que j’ai retrouvé dans l’essai de Camille Teste lorsqu’elle évoque son rapport au yoga en tant qu’adulte (Politiser le bien-être). En cours, nous nous touchons aussi beaucoup, sans vraiment nous connaître, avec précaution et consentement. C’est étrange au début, si éloigné des normes et de mes habitudes sociales. Les exercices bizarres de danse contemporaine que vous pouvez vous imaginer, et bien c’est exactement ça. Parfois, lorsque je fais un pas de côté et que je nous observe, je souris avec une pensée tendre à mes cours de théâtre passés.
Cela peut paraître dérisoire, accessoire, futile comme un simple amas de secousses vertébrées sans grand impact matériel. Je le comprends. Je suis pourtant convaincue que la danse a toute sa place dans les luttes politiques. Elle propose sa perception du monde en utilisant un langage différent des mots, un autre canal de communication. Tout le monde n’y est pas sensible ou éduqué.e socialement pour l’être. Cela peut demander de la pratique si le cœur vous en dit. Récemment, j’ai assisté à la représentation de Bugging d’Etienne Rochefort. La chorégraphie est notamment inspirée de l’histoire du VOGUING éminemment militante, né au sein de la communauté noire LGBT à NYC, parodiant les concours de beauté de l’élite blanche et jouant des codes sociaux (la sexualité, le genre, la féminité sociale…). Bugging nous tend le miroir de notre aliénation dans un monde qui déraille. Et c’est sublime doublé d’une virtuosité technique.
La danse est un canal pour les révoltes politiques, autant intimes que collectives. Et il est question là de toutes les danses et de tous les corps. Lea militant.e queer et anti-validiste, No Anger, le démontre à travers sa pratique, par laquelle iel explore la possibilité de réinventer artistiquement son corps handicapé (Quasimodo aux miroirs, MAC-VAL, 2018).
Mon expérience en manifestation est tout autre si celle ci est animée par de la musique, un soundsystem, des chants, des groupes de percussions, des fanfares, des performances artistiques. Ça vibre davantage, la communion est meilleure. La joie se déploie. Comme le dit MC danse pour le climat (Mathilde Caillard), techno-activiste et phénomène médiatique lors des manifestations contre la réforme des retraites ; « Danser pour militer est une longue tradition dans l’histoire des mouvements sociaux. La danse a toujours été énormément utilisée pour faire passer des messages politiques, toucher un peu à l’émotionnel et sortir de nos cercles militant.e.s pour percer le plafond de verre. Une grosse inspiration pour moi sont les militantes chiliennes de Las Tesis, qui, en 2019, faisaient des grandes chorégraphies où elles faisaient masse avec une grande communauté de femmes, avec une chorégraphie qui a été reprise partout dans le monde. ». Camille Etienne et son acolyte, la danseuse Léa Durand, suivent aussi cette voie. Elles associent merveilleusement messages politiques pour la lutte écologiste et chorégraphies sensibles. A son tour, Le Bruit qui court, collectif d’artivistes, milite dans la joie, à travers divers expressions artistiques. J’ai eu la chance de les croiser à la fête de l’humanité l’année dernière pour leur performance Résiste!. C’était percutant et rafraichissant dans ce joyeux bordel que peut être cet évènement. Cela participe à mon sens à rendre les mouvements sociaux désirables, doux, sensibles et vivants.
Alors que ce soit en cachette chez soi, au milieu de la piste sous une boule disco, en pleine manif’ dans le cortège des pink bloc, aux 80 ans de tante Jeannine, à la guinguette du coin, dans un club berlinois ou dans un bal trad’, dansons les copaines !
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Références
(La) Horde :
Politiser le bien être de Camille Teste :
Bugging d’Etienne Rochefort :
No Anger :
Le bruit qui court :
Camille Etienne :
Et en bonus :
La série télévisée POSE
Music for Maison d’en face :
Jungle – Us Against The World :
Le film Houria de Mounia Meddour :