Cultiver nos parentés

Des interstices – 03. Cultiver nos parentés

Par Alyss Haller

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Greenlobby : utiliser le système contre le système

Par Soldat Petit Pois

Vous le savez le but d’Oïkos, c’est de recevoir au micro des gens qui incarnent l’écologie dans le paysage politique et militant, de mille manières différentes. Mon invitée du jour a une parole un peu différente de celles des copains activistes qui se tiennent le plus possible éloigné des institutions. Valérie a co-fondé Green Lobby, et dans cette entreprise on parle aussi bien de « KPI » que de bifurcation écologie et sociale, de « disrupter les marchés » que de changer le système, et aussi bien aux ONG qu’aux commissions parlementaires. Pendant toute sa carrière, économiste et juriste de formation, Valérie a utilisé le système pour le détricoter. De l’Assemblée à la commission européenne, de cabinets ministériels au WWF en passant par la ville de Paris, elle maîtrise le langage politique et institutionnel qui nous fait parfois défaut. Elle connaît le public et le privé, et les subtilités des rapports de force au coeur du pouvoir. Et, comme le loup au milieu de la bergerie, elle compte bien mettre ce qu’elle a appris au service de l’écologie, en se fondant au milieu des dominant·es, sans angélisme ni moralisme, mais bien en poussant, grâce à Green Lobby, la politique au sens noble du terme. 

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Mieux à faire

Par Charlotte Giorgi

À toutes celles (c’est souvent celles) à qui on dit toujours d’aimer un peu moins fort. À qui on fait croire que cette puissance-là serait en fait une faiblesse. Celles qui pardonnent et donnent. Sans jamais rien exiger en retour. En se satisfaisant du présent. Celles qui devraient être les débiles de l’histoire, les sensibles, les niaises dont on s’est joué. Et si on rétablissait le récit comme il devrait se raconter : dans l’autre sens? 

Photo de Callum Skelton sur Unsplash

Je vais voir mon docteur cet après-midi. Je vais lui dire qu’elle avait raison de me demander d’attendre. 

Le mois dernier, je voulais augmenter la dose des antidépresseurs. Je voulais qu’elle m’assomme. Que le temps arrête de me passer dessus et que je passe sur le temps, plongée dans une somnolence joyeuse – médicamenteuse. 

Elle m’avait dit : « il faut attendre, vous avez vécu un évènement aigu. » 

J’avais trouvé ça cocasse. L’évènement aigu, c’est toi. Notre dispute, et le vide qui a suivi. Parce que toi, quand c’est compliqué, c’est simple : tu pars. Tu prends tes clics et tes clacs, et tu te casses. On se lève et on se casse? Ça paraît toujours noble, d’être celui ou celle qui part. Moi je trouve ça lâche, la plupart du temps. Tout le monde n’est pas Adèle Haenel. C’est rarement les Adèle Haenel qui se cassent, en vérité.

Et la seule réponse, ce serait accepter. Accepter qu’on rafistole pas, de nos jours.

J’en ai marre d’être jetée alors que je m’acharne à recycler, à rapiécer, à rabibocher. Je sais, ça ne plaira pas à tout le monde, ce que je dis là. Mais à trop vouloir le parfait, à surfaire le pardon, ça raconte quoi de nous? De notre capacité à vivre, la vraie vie, avec ses chutes vertigineuses et ses épines mal tailladées? Qu’est-ce qu’il nous prend de nous penser plus haut que l’existence elle-même? Qui es-tu au fond, pour péter plus haut que ton cul? 

J’avais écrit ça, à propos de toi, une nuit, y’a longtemps maintenant : 

« Après le sexe, je veux l’excuser. Je veux reconnaître bien volontiers que j’avais lu la fatigue sur son visage, qu’il était très sincèrement au bord de l’épuisement. Je veux être d’accord avec le fait qu’il s’endorme paisiblement, repu de moi. Je veux être en paix et m’endormir aussi, sans être assaillie par le doute et la suite qui se profile.

Il se tourne de son côté et je suis assaillie par le trou noir de la nuit. Je me demande si c’est ça être une femme, juste ça. Se sentir rien, après avoir été tout le temps de l’assouvissement d’un désir d’homme. J’essaye de dormir, tout en sachant que c’est peine perdue.

Physiquement, j’ai l’impression de sentir mon corps, trop fort. D’avoir été ouverte, et de prendre du temps, trop de temps, à me refermer.

Dans ma tête, c’est la jungle. Mon cerveau réfléchit à la suite. Il craint le terrible lever du jour, celui qui signifiera que je peux être jetée dehors sans ménagement, celui qui me rappellera de manière cruelle que l’on ne s’est rien promis, même si j’ai tant donné. Mon sacrifice sera vain, peut-être.  J’ai peur de me tromper en l’aimant déjà, alors que lui pas encore.

Toute la nuit je cherche son souffle, j’observe comment il dort. J’essaye de faire pareil, de mimer ses allures, son assurance, sa paix. Et au petit matin, vient le réconfort.

Il se réveille à côté de moi. Il a l’air heureux. Il a chopé la grippe, aussi. Il était fatigué la veille, il est malade ce matin. Mon cerveau tordu imagine que ça nous rapproche. Il m’a gardée contre lui alors que ses forces l’abandonnait ; j’avais été témoin de ce que peu de gens constatent : l’incubation d’une grippe. Ça en jetait. Je n’en demandais pas plus. »

Je ne t’ai jamais demandé plus, et toujours donné davantage. Je ne te mentais pas quand je te disais que ça ne me dérangeait pas. Tu aurais pu faire mieux que confirmer les craintes : tu n’as pas supporté que je fasse mieux que toi. Tu as voulu décider à ma place, t’épargner le constat de ta pauvreté émotionnelle. Le vide, encore, alors que j’ai tant en moi, tant à donner et l’envie de ne faire que ça. 

Quoi qu’il en soit je vais un peu mieux finalement. Ça me permet d’écrire ça. De déposer là mes doléances pour les prochains conflits, les prochaines ruptures, et tout ce qui ira de travers – avec moi ça va toujours de travers, faut se préparer donc. 

Je suis têtue. De manière générale. Je n’aime pas abandonner et je ne sais pas vraiment le faire non plus. Ça a l’air stylé comme ça, mais parfois ça tourne moche, de se cramponner. En tout cas, c’est ce qu’on m’a toujours dit. “Laisser tomber”, “partir la tête haute”, “valoir plus que ça”, “ne pas perdre son temps”, “mériter mieux”, ce genre de trucs. Vraie héroïne pense à sa gueule et se casse, comme toi. Vrai moderne n’aime qu’à la mesure de ce qu’on est capable de lui réciproquer. Vraie bad bitch balaie les “mauvais” sans s’apitoyer, passe à autre chose en disant “cheh” et ne cherche même pas un « bon » – sans parler du bon. 

Je suis une petite boloss du moderne. Moi je fais pitié à mes ami·es. Iels savent que quand j’aime, c’est foutu. Je me foutrai dans la merde la plus noire, quand j’ai l’impression que mon coeur a raison (il a ses raisons que la raison, blabla). Je ne suis pas idiote non plus – parfois on me fait douter, c’est pour ça, je l’écris ici au passage. Ni idiote ni kamikaze, ni faiblarde, ni naïve. C’est la force : donner sans naïveté. Lucide, puissante de l’être et de faire quand même les choses qu’en face on ne ferait pas. Parce que le fait d’aimer est une victoire à part entière. C’est une chose que je fais pour elle-même, parce qu’il me semble qu’il n’existe rien de plus dégoûtant que de vouloir marchander sa tendresse (je ne parle pas de la prostitution, of course, mais d’un type de marchandage plus insidieux, moins transparent, et qui étend son emprise sur la gratuité de nos relations). 

Quand j’ai eu honte de t’aimer si fort, j’ai décidé que j’en avais assez. Assez des brides, assez des conséquences. Si j’ajuste la force de mes sentiments à ce que je reçois en retour, ça ne vaut plus la peine. Si l’on étouffe la puissance de mes émotions avec des prétextes moralistes, rationnels, ou même condescendants, c’est que là je dois monter au créneau et dire quelque chose. 

Je crois toujours, même après tout ce qu’il s’est passé, que ce n’est pas à moi d’aimer moins fort. De salir la générosité que j’ai et que j’aime. De devenir aussi médiocre qu’ils le sont tous. 

Ce n’est pas ma faute si les autres ne sont pas assez forts, pas assez résistants pour donner, vraiment donner, sans reprendre, sans prendre la fuite, en regardant droit dans les yeux sans rien craindre de ce qu’il y a en face, puisque c’est en soi qu’on chérit ce feu-là. 

J’aime comme je veux, comme je peux. Je peux beaucoup. Si je suis capable de l’immense, personne ne me réduira au minuscule. Si le monde ne peut pas contenir cette force, laissez-moi essayer. S’ils ne la méritent pas, faites-moi confiance pour le faire pour moi, parce qu’aimer est ce que je préfère au monde. 

Je n’ai pas perdu. C’est toi qui aurait pu gagner. Tant pis. Moi je gagne toujours, parce que je dépends pas de toi. J’ai ce truc-là en moi. C’est l’avantage, quand on donne. 

Alors vous pouvez bien croire qu’on se fait duper tout le temps, ou qu’on n’arrive pas à faire ce qu’ils nous font : prendre jeter, partir, ne surtout rien ressentir. NE PAS S’ATTACHER. Mais si c’était juste qu’on n’a pas envie de jouer à votre jeu de merde? Qu’on trouve ça franchement pas intéressant? Et si nous on joue dans la cour des grand·es, celleux qui se jettent dans la vie au lieu d’y aller sur la pointe des pieds, guindé et snob? Et si on était plus que capable de tout vous renvoyer en boomerang mais que vous ne méritiez  pas qu’on se donne cette peine? – de toute façon on a mieux à faire : aimer. 

Tu ne peux pas jouer avec moi si je suis honnête, véritable, si je t’aime pour t’aimer. C’est contre ton camp que tu mets le but dans les cages. 

Alors, à quoi bon m’agacer? Un truc d’ego, un truc d’orgueil qui devrait être rétabli. Un truc pour dire : en plus d’être incapable de t’élever à la hauteur des choses, n’aie pas l’audace de te donner bonne conscience. Ne nous fais pas l’affront de te dire que tu m’as bien eue. Il est là ton gâchis : tu aurais pu m’avoir. 

La docteure a dit : « ça fait plaisir de vous voir comme ça. ». 

J’ai dit : « j’espère que ça va durer ». 

Mais je sais que ça durera toujours. J’aime trop fort pour qu’on me condamne à la médiocrité. Quoi qu’on dise, je tiendrai bon. Je n’arrêterai jamais ce don-là. Il me fait autant de bien à moi qu’il peut en faire aux autres. Qu’il aurait pu t’en faire à toi.