CEUX QUI PRÉSERVENT

         Aujourd’hui, j’ai envie d’écrire une ode. Un genre de reconnaissance retardataire, d’inaudibles excuses, mais surtout de grande sérénade à toutes celles et tous ceux qui préservent. Et si vous ne voyez pas de qui je veux parler, je vais vous raconter.

         En regardant de temps à autre des émissions de téléréalité, mi sidérée mi hilare, je me suis rendu compte que nombreux étaient les candidat·es qui disaient à propos d’eux-mêmes : « j’ai du caractère ». À les écouter, ça m’avait tout l’air d’être la plus grande vertu du siècle, le caractère. Souvent, ça voulait dire : je sais me mettre en colère, perdre mon sang froid, réagir à chaud. Je me lève quand on m’attaque, peut-être même, j’attaque d’abord. À notre époque, on aime les bulldozers, les bulldogs, les hachoirs. Moi-même, dans un billet précédent, je me rappelle avoir parlé de ces rages motrices, de cette colère qui avance, de cette mise en mouvement à laquelle ces bourrasques incitent. Faire la vie dure aux injustices, étrangler les préjugés, casser la toile soyeuse de l’indifférence. C’est aussi la raison pour laquelle les dominant·es sans doute ne supportent pas le désordre et le chaos des hargnes. Chez eux, tout doit être bien rangé, car l’ordre leur profite, et ils n’ont aucune tripe qui pulse à l’intérieur d’eux pour déranger ce qui ne va pas.

         Mais parfois, il m’arrive de croiser de ces êtres doux et empreints d’une sensibilité dont on se refuse à percevoir la puissance tant elle nous désarçonne. Ces personnes-là s’énervent rarement, ne se mettent guère hors d’elles, se délectent si peu de l’emportement. En fait, ce n’est pas par « manque de caractère » comme le marmonnerait le poste de télévision ; ce n’est pas par une faiblesse minable, ce n’est pas par un écrasement réducteur.

         C’est souvent, il me semble, parce qu’elles perçoivent l’importance des liens que l’époque détricote, parce qu’elles attachent une importance grande à la concorde et qu’elles s’intéressent au moment plus qu’à tout autre chose. On sous-estime souvent la manière féroce qu’ont ces personnes-là de s’accrocher au présent, leur capacité impressionnante à ne jamais faire de gâchis. Le sarcasme les habite, parfois. Elles rient au lieu de hurler, et s’acharnent à flotter au-dessus des instants belliqueux avec une constance redoutable.

         On rira d’elles. On dira qu’elles fuient le conflit, qu’elles sont trop polies, pas assez rentre-dedans. On dira qu’elles évitent les écorchures frontales mais se roulent dans le mal, qu’elles ont une complaisance avec ceux qui ne la méritent pas, qu’elles se soumettent aux turpitudes des conversations sans coup de fouet ou coup de frein. On arrêtera là la lecture de cet article stupide qui veut vanter ceux qui font le choix de l’aplatissement.  

         Car je crois bien qu’il s’agit de cela, de choix. Changer de paradigme. Considérer les êtres, et dans notre manière de le faire, exprimer un certain désir de réciprocité. Dire par là que la colère est parfois saine, souvent nécessaire, jamais monstrueuse, mais qu’elle ne confère pas un pouvoir supérieur, qu’elle peut aussi laisser hagard et déserté par l’espoir, que l’on peut lui préférer la paix et que ça ne signifie pas nécessairement se faire piétiner.

         En bref, je crois qu’il faut remercier les coléreux, mais aussi ceux qui préservent, ceux qui soignent les tempêtes, ceux qui encaissent en ne disant mot, ceux qui se débattent en silence parce qu’ils se font une idée haute de ce qui les lie aux autres, ceux qui se taisent et supportent d’avoir les oreilles pleines, ceux qui font des pieds et des mains pour que les cœurs aient toujours la possibilité de la joie, ceux qui se veulent plus forts que les vicissitudes du monde en décidant de ne pas y prendre part.

         Merci, car vous me faites beaucoup de bien et grâce à vous, je ne me sens pas anémiée si j’en fais autant.

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