Le cul entre deux chaises – Turbulence #2

Par Laura Wolkowicz

Photo de Ben Wilkins sur Unsplash

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Turbulences, ce sont les chroniques d’une femme cis blanche “privilégiée” et hypersensible qui décide de s’emparer et de décortiquer les turbulences sociétales et personnelles qui la bousculent. Un petit plongeon dans l’œil de la tempête pour un grand bain de prises de tête.

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Le soleil se lève sur Paris le 9 Octobre, et à cette heure, Israël et la Palestine sont à feu et à sang, tout comme mon corps… Je fais défiler les gros titres – « Le jour où le Hamas a fait vaciller Israël », « L’attaque surprise du Hamas retracée minute par minute » « « Cette tragédie que vient de vivre Israël, c’est notre quotidien » selon un habitant de la bande de Gaza » – j’engloutis des articles… Je nourris le monstre de colère qui grandit en moi au fil des mots, au fil des pages – « MAIS C’EST PAS POSSIBLE ! ILS NE PEUVENT PAS SE CALMER AVEC LEUR CONCOURS DE B**** » (Excusez mon langage, toute cette violence me fait perdre mon sang froid…)

Même si elle est géolocalisée dans une région bien particulière de la planète, à des milliers de kilomètres de nous, cette annonce et la violence qui s’en est suivie de part et d’autre nous a tout·e·s touché·e·s. Elle a eu des répercussions sur le monde dans lequel on vit, lançant dans son sillage tout un engrenage de réactions et d’alliances géopolitiques aux conséquences incontrôlables. Mais elle a surtout eu un impact à notre échelle locale, donnant du grain à moudre aux conflits interreligieux et interraciaux déjà en place.

Parler. Se prononcer. S’engager. Choisir son côté… C’est ce qu’on nous somme de faire depuis le 7 Octobre. Mais depuis ce jour, je reste sans voix. Des centaines d’humains sont tuées d’un côté et des milliers de l’autre, des actes infâmes sont perpétrés, des paroles immondes sont prononcées. Pourquoi la finalité de ce conflit pour nous autres serait de devoir prendre parti ? Pourquoi simplement vouloir la paix n’est pas accepté ?

Me prononcer, j’en étais incapable. Juive d’origine et ayant des liens familiaux en Israël, je me suis retrouvée face à un dilemme insurmontable…écartelée entre ma famille, mes origines, mon empathie, mon dégoût de l’ignominie humaine et mon désir insatiable de paix.

EMPATHIE – Sans rentrer dans la complexité de l’engrenage géopolitique qui a donné naissance à Israël, jusqu’ici, j’avais de l’empathie pour le peuple juif et ma famille qui, chassé·e·s de leur pays, poursuivi·e·s, meurtri·e·s et anéanti·e·s, ont voulu chercher refuge et se reconstruire. Et j’avais aussi de l’empathie pour le peuple palestinien qui s’est vu éjecter de ses terres et imposer un choix, un cadre et une nation qui n’étaient pas les siens et la sienne.

CULPABILITÉ – Sonnée par la cruauté de ce monde, j’ai d’abord mijoté dans ma colère, dans ma tristesse et dans les souvenirs de cette guerre ravivée. Puis à mesure que les attaques défilaient, j’ai sombré dans la culpabilité. Pourquoi quand je scroll sur les réseaux et que je vois des posts attaquant Israël je me sens coupable ? Pourquoi ma judéité ferait de moi une complice des actes du gouvernement israélien ? Comment m’y opposer sans avoir le sentiment de trahir ma famille et mes origines ? Bref, j’ai le cul entre deux chaises et comment vous dire… c’est pas très confortable…!

PEUR – Ayant grandie dans l’héritage de la Shoah et de l’antisémitisme, je pensais m’être débarrassée de ce sentiment de peur quant à mon identité. Mais aujourd’hui, j’ai peur pour ma famille, j’ai peur pour mes proches, j’ai peur quand je vois les actes antisémites perpétrés ces dernières semaines sans vergogne, mais surtout j’ai peur pour l’avenir… J’ai peur qu’on n’arrive jamais à cohabiter tou·te·s en paix malgré nos différences culturelles, religieuses, ethniques, de genre et de sexualité. Quand on voit que soixante-six ans après, une cohabitation pacifiée n’a pas réussi à être trouvée entre les habitant·es de cette région, que l’extrême droite gagne du terrain dans de nombreux pays ; à l’heure où les flux migratoires (notamment pour des raisons climatiques) ne vont faire que croître, que des familles et des peuples entiers vont être déracinés, contraints de chercher un ultime foyer – Comment peut-on envisager un avenir mondial apaisé ? Est-ce que la Terre ne va pas devenir qu’un gigantesque bain de sang ? Une boucherie sans fin ? Est-ce ça l’aboutissement de la sixième extinction ? Est-ce ça la « fin du monde » ?

Votre anxiété monte en lisant ces mots ? La mienne est à son comble, mais aujourd’hui j’ai décidé d’arrêter de la subir. Comme Charlotte et Marius dans leur dernier épisode de Vacarme des Jours, je me suis tout ce temps demandé si je devais prendre position. Mon avis étant biaisé, j’ai jusqu’ici préféré le silence avec l’envie de me faire oublier et surtout d’essayer d’oublier. Mais comme le dit très justement Charlotte, “en ne disant rien […] on envoie quand même un message, on laisse faire des choses”. Alors aujourd’hui, c’est armé de ma plume que j’ai décidé de sortir de ce silence et que je crie haut et fort : NON !

NON ! Je refuse haut et fort que l’on perpétue des actes de barbarie en mon nom.

NON ! Je refuse que l’histoire se répète et qu’un pays qui commémore chaque année les victimes d’un génocide en perpétue un à son tour.

NON ! Je refuse que l’on tue et séquestre des innocent·e·s au nom de la “création d’un foyer national juif”

En écrivant ces mots, je pense à toutes les personnes que je connais qui sont parties vivre en Israël. J’ai toujours eu l’impression qu’Israël représentait un Eldorado pour elleux et je n’ai jamais compris pourquoi. Comment l’idée de vivre dans un territoire constamment en guerre paraît être une opportunité pour une vie meilleure ? Pourquoi s’installer sur des terres de sang ? Et je me demande si aujourd’hui, choisir de faire son “Aliyah” (mot utilisé pour désigner les juifs qui décident de s’installer en Israël) ce n’est pas soutenir ce massacre ? Je sais que nombreux·ses sont les israélien·nes à s’opposer à la politique de Netanyahou et je n’imagine pas à quel point cela doit être dur pour elleux de vivre dans ce climat hostile et de voir leurs proches partir sur le front, mais je me demande sincèrement comment aboutir à la paix en gardant l’existence d’Israël telle quelle et en continuant de l’alimenter à coup d’Aliyah…
De nombreuses voix juives se sont levées pour appeler à la fin de la colonisation et de l’occupation israélienne, comme le mouvement Tsedek. Même si je soutiens ce collectif et ses idéaux, ce n’est pas l’appel que je souhaite faire par ces mots. Aujourd’hui je veux prendre position mais je ne souhaite pas m’inscrire dans une démarche binaire de rapport de pouvoir. J’ai envie de penser qu’il existe une alternative quant à nos prises de positions dans ce conflit et dans tous les conflits actuels et futurs. Je suis de tout cœur avec mes frères et soeurs israëlien·nes mais aussi avec mes frères et soeurs palestinien·nnes. Est-ce qu’au final la vraie question que l’on devrait se poser dans ces moments là c’est “Quelles sont les valeurs que je soutiens ? Quelles sont les situations que je condamne ?” ? Parce qu’en choisissant de soutenir un camp ou l’autre, nécessairement on soutient des actes, des paroles avec lesquels on ne résonne pas forcément. C’est une pensée peut-être utopiste qui ne solutionne certainement pas le problème, mais ceci est une simple invitation à réfléchir nos prises de positions en fonction de la vision du monde dans lequel on souhaite vivre.

J’aimerais beaucoup prolonger et enrichir ma réflexion dans un potentiel futur article en dialoguant avec une ou des personnes touchées personnellement par ce conflit. Alors si toi aussi cette actualité a causé beaucoup de turbulences en toi, discutons-en.